3 janvier 2001. mis en ligne le 12 février 2001. topic : Propagande officielle

Le "pillage numérique" ne passera pas !

Une revue de web de Arnaud Gonzague mis en ligne le 3 janvier 2001.
pour le magazine Transfert.

<< Dans une diatribe enflammée, la procureur générale, américaine Janet Reno, annonce la couleur : il faut que cesse le "pillage numérique" pour le plus grand bien des USA. >>

<< Janet Reno a déclaré la guerre aux pirates et à la contrefaçon : dans une chronique publiée par le quotidien The Industry Standard, la procureure générale de Bill Clinton (équivalent de notre garde des Sceaux), tire la sonnette d’alarme : de concert avec le International Crime Threat Assessment, le comité des agences fédérales (FBI, Bureaux de lutte contre la drogue, services secrets…) qui a rendu un rapport en décembre, Janet Reno le dit tout de go : il faut faire cesser le "pillage numérique" (digital theft) qui est "plus rapide, plus cher et plus dangereux que jamais". Késako ? La violation de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur bien sûr ! "Les pays incapables de protéger leur propriété intellectuelle verront la fuite de leurs talents les plus remarquables, une chute de l’emploi et des revenus fiscaux, un environnement propice à la corruption", affirme Janet Reno. Dans le collimateur [...] de mystérieuses "organisations criminelles" qui font de la contrefaçon facilitant les entreprises "d’armes, de drogue, de pornographie, et même de terrorisme". Mais aussi, ceux qui piratent "logiciels, musique, films, livres et jeux vidéo". [...] >>


Commentaires personnels :
Et voilà comment on met dans le même panier des mystérieuses "organisation criminelles [...] d'armes, de drogue, de pornographie, et même de terrorisme" et les djeunes qui copient "logiciels, musique, films, livres et jeux vidéo". Cela s'appelle purement et simplement de la propagande, art dans lequel les États-Unis sont passés maître depuis la guerre "propre" du Golf... Il est difficile de s'attaquer à sa propre jeunesse, alors on parle de terrorisme, c'est plus facile. On ne doute pas un instant que les intéressés apprécieront la comparaison :-)

Malheureusement ils ne sont encore qu'une minorité à avoir conscience des potentialités de l'abondance numérique, et de l'absurdité que constituerait la création d'une pénurie artificielle par le bridage obligatoire du matériel audio-vidéo. De plus la propagande ne fait que commencer et elle risque de se faire de plus en plus dure. Néanmoins, je persiste à croire que nous pouvons gagner cette bataille car pour une fois les consommateurs sont dans notre camp, notamment les américains pauvres et les jeunes qui n'ont souvent pas d'autre moyen d'accéder à la culture numérique qu'en la reproduisant.


A mon heuble avis, il n'est pas absurde d'imaginer que cette propagande est directement destinée à légitimer les nouvelles réglementations américaines imposants aux constructeurs le bridage du matériel audiovisuel permettant la copie.

Sur la protection des contenus digitaux: la dérive du droit aux USA, John Gilmore, EFF
<< Je pense que nous devons entrer dans l'ère de la plénitude et trouver comment y vivre ensemble. Je pense que nous devrions travailler pour comprendre comment les gens peuvent vivre en créant de nouvelles choses et en fournissant de nouveaux services plutôt qu'en limitant la reproduction de ce qui existe. >>

Ces mesure de régulation économique créant artificiellement de la rareté ne sont évidemment pas de nature libérales. Quand il s'agit des OGM et de l'exception culturelle, l'état américain prêche le libéralisme. Quand il s'agit de de données numériques on en revient à la régulation. Une preuve de plus, s'il en fallait, que la seule véritable idéologies de l'Etat US consiste à défendre ses industries locales. Quitte à abandonner le dogme libéral devenu obsolète pour en revenir à des pratiques féodales qui ne sont pas justifiable autrement qu'en faisant une propagande alarmiste.


Le droit de lire, Richard Stallman, Communications of the ACM, février 1997
<< POUR DAN HALBERT, la route vers Tycho commença à l'université - quand Lissa Lenz lui demanda de lui prêter son ordinateur. Le sien était en panne et, à moins qu'elle puisse en emprunter un autre, elle échouerait à son projet de mi-session. Il n'y avait personne d'autre, à part Dan, à qui elle osait demander. Ceci posa un dilemme à Dan. Il se devait de l'aider - mais s'il lui prêtait son ordinateur, elle pourrait lire ses livres. À part le fait que vous pouviez aller en prison pour plusieurs années pour avoir laissé quelqu'un lire vos livres, l'idée même le choqua au départ. Comme à tout le monde, on lui avait enseigné dès l'école primaire que partager des livres était mauvais et immoral - une chose que seuls les pirates font. [...] >>

J'ai lu récemment quelque part que les cours d'instruction civique "anti-piratage" avaient déjà commencé aux Etats-Unis... mais je n'arrive malheureusement pas à retrouver l'info. Pourtant, sur ce sujet un discours véritablement civique devrait plutôt consister à parler de partage du savoir :

Quelques expressions trompeuses qu'il vaut mieux éviter d'employer, Richard Stallman, 1996
<< [...] Les éditeurs parlent souvent de la reproduction non autorisée en termes de «piratage». Ils sous-entendent par là que la reproduction illégale est équivalente, sur le plan éthique, à l'attaque des navires en haute mer et à l'enlèvement ou à l'assassinat de leurs passagers. - Si vous ne croyez pas que la reproduction illégale ne fait qu'un avec les enlèvements et le meurtre, vous préférerez certainement ne pas vous servir du terme «piratage» pour la désigner. Des termes neutres tels que «reproduction interdite» ou «reproduction non autorisée» peuvent être employés. Certains d'entre nous préfèrent employer une expression positive, telle que «partage d'informations avec son voisin». [...] >>


Comment a-t-on pu en arriver là sans qu'aucune réaction ne se fasse entendre ? En fait, ce discours semblait justifié avant qu'apparaisse la possibilité de copie individuelle : il était financièrement nécessaire de protéger l'exclusivité d'un éditeur rémunérant ses auteurs face aux éditeurs concurrents. Mais nous n'avons pas su percevoit le glissement de l'analyse anti-contrefaçon vers le dénigrement des copieurs individuels. Ces lois avaient un intérêt pratique plus que moral; faute de le comprendre on en ai venu à dénoncer comme immoral le fait de, par exemple, photocopier un chapitre d'un écrivain génial pour le donner à un ami. Ainsi nous pouvons lire depuis 1992 en première ou dernière page ce texte absurde :

<< DANGER : LE PHOTOCOPILLAGE TUE LE LIVRE.
Ce logo a pour objet d'alerter le lecteur sur la menace que représente pour l'avenir de l'écrit, tout particulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales, le développement massif du "photocopillage". Le code de la propriété intellectuelle du 1er juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Cette pratique qui s'est généralisée, notamment dans les établissements d'enseignement, provoque une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des oeuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd'hui menacée. Nous rappelons donc que la reproduction et la vente sans autorisation, ainsi que le recel, sont passibles de poursuites. Les demandes d'autorisation de photocopier doivent être adressées à l'éditeur ou au Centre Français d'exploitation de la Copie... >>


Image piquée sur cette page

Si la propagande a gagné en subtilité de nos jours, ses méthodes de communication sont fondamentalement les mêmes que celles des nazis et des staliniens. Toute proportion gardée (il ne s'agit pas évidemment de comparer les systèmes politiques, mais les méthodes de propagande), je me permet de vous rappeler l'histoire édifiante de l'affiche rouge...

Il est flagrant de constater que les puissants tiennent toujours des discours alarmistes et manipulateurs quand il s'agit de protéger les fondement de leur pouvoir, qu'il soit religieux comme en Iran, ou économique comme aux États-Unis.

J'ai remarqué à ce propos, que si l'on met en relation le texte de Janet Reno avec la propagande iranienne contre la contrebande vidéo, on obtient un éclairage aussi inattendu que riche de sens :

Patrick Farbiaz in "Comment manipuler les médias, 101 recettes subversives", page 70 :

<< Comme le reconnaît innocemment Ali Assasi, un sociologue iranien expert en communication islamiste d'Etat : "La vidéo contribue, du point de vue politique, à couper la communication entre les peuples et leur gouvernement. La télévision et le cinéma sont des moyens gouvernementaux pour des enseignements officiels. De ce point de vue, la vidéo apparaît comme l'antithèse de la télévision." On n'aurait su mieux dire.

Le "grand Satan" aurait réussi à détourner la vigilance de l'État iranien en introduisant 430 000 magnétoscopes en Iran avant août 1980. Le magnétoscope, instrument libre obéissant aux seuls caprices de son utilisateur, déstabilise l'État islamiste. La contrebande de vidéos, bravant l'interdiction du gouvernement, nourrit le peuple de son flot pervers. "La vidéo, avec la distribution massive de magnétoscopes et de films amoraux", est la dernière arme de Satan, estime notre médiologue islamiste "...les effets destructeurs de la vidéo sur la culture de notre société suivent plusieurs lignes : la culture véhiculée par les films étrangers est vulgaire et incontrôlable. Les émissions de variétés et les autres programmes envahissent des familles dont les enfants reçoivent, parallèlement à l'école, une éducation islamique. Ils leur dérobent leur identité et les mettent en contradiction avec eux-même et avec leur entourage... Les membres de la famille deviennent dépendants de ces films déviants et médiocres, d'autant qu'ils les visionnent plusieurs fois. Cela crée une atmosphère malsaine et donne naissance à de nouvelles formes de corruption, qui commence par des échanges de cassettes vidéos et finissent par la prostitution et la toxicomanie " ! >>

Sans commentaire...

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