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Avatarium, vivants, vibrants, libres...

Entretien avec Agnes Crepet, Avataria

«Musiques vivantes et vibrantes, acteurs éclairés et impliqués, informatique libre et solidaire et peut être, public curieux et ouvert réunis dans un même avatarium...» Voici la passionnante hybridation culturelle que propose le festival Avatarium, les 17 et 18 novembre prochains à Saint-Etienne. Rencontre avec une de ses animatrices.

Avataria organise cette année la seconde édition du festival Avatarium à l'enseigne des alternatives en devenir dans les cultures modernes. Quel en est le fil conducteur cette année ?

• La première expérience nous a donné l'envie de garder l'idée d'articuler le festival autour de programmations musicales et d'espaces de réflexion. Nous cherchons ainsi à donner la possibilité au public de se constituer une base de réflexion autour de certaines émergences des cultures digitales aussi bien au travers de discussions argumentées que de projections d'images ou de sensations musicales festives. Comme une envie de dire : regroupons nous, réflechissons et discutons ensemble, partageons nos savoirs mais également vibrons et dansons tels des électrons libres, conscients et incontrôlables. Nothing is true ...

Quel bilan avez-vous tiré du festival l'an dernier ?

• Ce fut le premier évènement proposé sous le label Avataria. Bilan contrasté : organisation difficile, puisqu'un peu courte en temps et fréquentation réduite du public pour certains espaces (en particulier le forum associatif), déficit lourd à surmonter. La programmation musicale n'était pas très facile d'accès, (pas de tête d'affiche, musiques nouvelles, etc.). Par contre, le fait de proposer plusieurs espaces (rencontres, forums, concerts) a, semble t-il, été bien recu par le public que l'on a retrouvé sur d'autres rencontres qui ont suivi.

Mais revenons à la programmation de cette année. Il y a quelque chose de "rare" dans cette sorte d'hybridation culturelle proposée par Avatarium entre musiques électroniques et informatique libre, par exemple. Parle nous un peu plus de vos choix pour cette année...

• Le choix des groupes ne s'effectue pas uniquement sur la dextérité et le savoir-faire des artistes, mais aussi sur l'implication de chacun dans la musique qu'ils propagent et surtout les cultures qu'ils contribuent à représenter. Pour ce qui concerne, par exemple, le groupe Le Tigre, trois filles le constituent : Kathleen Hannah, ex-chanteuse de Bikini-kill, goupe punk new-yorkais du début des années 90, impliqué dans le label "Kill rock stars" qui, comme son nom l'indique, a officié pendant plusieurs années à Londres, en essayant de produire des groupes ayant une réelle démarche alternative ; Sadie Benning, réalisatrice de plusieurs films du cinéma dit expériemental, et Johanna Fatemen, éditrice de plusieurs fanzines politiques à New-York. Toutes trois ont un passé représentatif de la culture punk des années 80 aux Etats-Unis et se rejoignent depuis peu dans Le Tigre.

Autre exemple : Ryan Moore (groupe Twilight Circus Dub Sound System), a un passé pluri-instrumentaliste et plus de quinze ans de musiques de genres différents derriere lui (en passant par l'indus, le rock, le dub, etc), il produit depuis toujours lui seul tous ses disques et les distribue... à une échelle très étendue.

L'exemple de ces deux groupes illustre tout à fait ce qu'on peut essayer de montrer dans ce festival... tout d'abord qu'une alternative existe à tout circuit marchand gargantuesque, et que l'élaboration de cette alternative est à mettre directement en lien avec d'autres pour permettre la construction d'un réseau viable. Nous souhaitons également montrer qu'il peut ne pas exister de distinctions réelles entre le statut d'artiste, celui de producteur, de distributeur....même si ces frontières paraissent très communes et incontournables dans certains circuits aussi universels semblent-ils être.

Nous avons longtemps officié dans les sphères des musiques expérimentales (organisation de concerts, festivals, tournées, émission radio, etc.), mais finalement ce que l'on a toujours essayé de faire peut s'appliquer évidemment à d'autres domaines, et surtout n'était pas sans lien avec d'autres histoires, d'autres "luttes".

Nous citons souvent un fanzine francais comme "Octopus" auquel nous devons, en quelque sorte, l'ouverture musicale que l'on a tenté de propager à notre public. Nous pourrions également citer, à une échelle plus locale, l'histoire de la "caravane des quartiers", un groupe de gens et de musiciens (Mano Negra...) qui ont eu l'initiative d'organiser, il y une dizaine d'années, des concerts gratuits dans les quartiers, et qui derrière ce projet ont voulu montrer leur volonté de refuser la carte postale statique qui souvent lie les quartiers, l'immigration, le chômage et la délinquance. Ils ont ainsi soumis la proposition pragmatique d'une autre poltique pour les "quartiers sensibles", "pour tisser à nouveau des liens de proximité et valoriser les potentialités, pour peser afin que les voix des quartiers soient écoutées et faire ainsi que les lieux d'exclusion deviennent espaces de mélange, de confrontation et d'échanges, le lieu de tous les possibles".

Et la liste de tous ces gens, qui nous poussent aujourd'hui à expérimenter ce genre de festival, est longue.

Il n'existe donc pas de frontières de sens à proprement parler entre certaines investigations. Si aujourd'hui nous proposons une telle "hybridation culturelle," entre informatique libre et musiques expérmientales, c'est qu'à nos yeux il est absolument nécessaire d'ouvrir son champ d'action et ses domaines d'acquistion de savoirs, en ce sens que proner une alternative au monde du Spectacle n'est pas distinguable de la révolution liée aux logicels libres (plus exactement à la philosophie du Libre). Il s'agit, dans les deux cas, d'un combat ancré depuis plusieurs années, promouvant une liberté d'expression.

Il nous semblait donc très important, pendant le festival, de proposer un espace de réflexion sur cette philosophie du Libre, en proposant à des personnes directement impliquées comme toi ou Olivier Blondeau d'organiser cet espace ;-). Si "hybridation" dans la programmation du festival Avatarium il y a, il s'agit bien d'une pluricité de l'aspect, de la forme, au fond la démarche est la même : l'élaboration de connexions entre îlots d'expérimentations du Libre!!!

Comme dit Kathleen Hannah, de Bikini Kill: "Je suis intéressée par l'idée de recycler des trucs, et de les commenter. Dans beaucoup de chansons de Bikini Kill, je samplais des gens : j'ai pris des paroles de Whitney Houston et je les ai chantées. En fin de compte, j'ai la chance d'apprendre. Et les choses ont, en quelque sorte, juste... germé."

En dehors de l'organisation de concerts et de débats, Avataria c'est aussi une action pour la mise en place d'un Internet culturel de proximité dans la ville, avec en particulier un projet de "bornes interactives". Où en êtes-vous de cette tentative de promouvoir un accès public?

• Le bilan financier du premier festival Avatarium nous a un peu freinés pour certains projets, notamment celui des bornes interactives. De plus, avec la volonté d'essayer de "récupérer" ou de recycler au maximum le matériel, nous rencontrons quelques problèmes techniques (fiabilité du sytème de navigation...). Après avoir présenté un prototype lors du dernier festival, nous avons du attendre le mois d'avril 2000 pour proposer le vernissage de la première borne à laquelle étaient associées une dizaine de structures de la région (labels, groupes locaux, radio associative locale, diverses associations...).

Notre objectif premier n'est pas d'être un "accès libre" et nous ne souhaitons pas à court terme que les bornes soient connectées en permanence. Nous souhaitons plutôt pouvoir regrouper les nombreuses structures locales (culturelles et/ou sociales) qui investissent les nouveaux outils réseaux multimédias pour développer leurs actions au quotidien et qui se retrouvent perdues dans la "toile du réseau". De plus, un nombre croissant de moyens s'offrent aux internautes pour surfer plus ou moins gratuitement (cybercafés, bornes, wap, gratosurf.com, etc.). La problématique est donc de moins en moins de permettre aux gens de se connecter mais plutôt de découvrir qu'il existe un "Internet" différent de celui d'aol.com et de peut-être ainsi le faire entrer dans le réel comme un moyen de trouver une information ou une solution de proximité à travers le travail de structures investies dans leurs cités (tous les sites sur la borne sont également présents sur Internet).

Il y a une chose qui m'a particulièrement frappé lorsque je vous ai rencontré l'an passé c'est l'histoire même d'Avataria. En fait, c'est le passage de Mad's, une association disons centrée sur le "rock alternatif", à aujourd'hui Avataria, une association où convergent les intérêts pour toute forme de culture digitale, dont la musique, Internet, etc. Particulièrement étonnant comme parcours : non ?

• Fin 1980, la scène rock hexagonale représentait une réelle alternative. Les groupes, associations, labels, fanzines émergeaient un peu partout ; un véritable réseau se créait afin de faire vivre au quotidien une culture pluri-ethnique, impliquée et authentique. C'était le rêve de Mad's Collectif, dans une ville où il était très difficile d'organiser des concerts et surtout de donner la parole à des groupes qui ne pouvaient s'exprimer dans les médias dits "de masse".

Ce terrain a fait émerger localement un groupe d'individus qui s'est organisé pour prendre lui même la parole et surtout la donner à d'autres. Une des priorité de Mad's Collectif s'est révélée au fil des années comme étant celle de ne jouer ni dans le "camp" des institutions, ni dans celui des "anti-système", son travail s'étant toujours situé plutôt sur la construction d'une réelle alternative dans un système existant. Alternative se traduisant par une investigation d'une scène principalement rock, s'étendant peu à peu à d'autres styles musicaux, en essayant de privilégier l'éclectisme à la mode du moment.

Plusieurs expériences ont été montées sur les dernières années de Mad's Collectif, profilant la naissance d'Avataria, et traduisant une envie d'investir, par le biais de la musique, d'autres domaines et surtout d'autres publics (par exemple, des repas végétariens ont été distribués aux enfants dans les cantines scolaires, durant une semaine, à l'occasion d'un festival mettant en avant la culture dub). A Mad's Collectif collait l'image d'une association impliquée, comme tu le dis, dans "le rock alternatif", il nous semblait important de casser un peu cette image et surtout de montrer qu'au fait de faire découvrir certaines musiques/cultures correspondait l'envie d'échanger. Nous avons toujours voulu nous positionner à l'horizontale à la fois du public et des artistes accueillis, en respectant les deux.

Nous ne voulions pas vendre du spectacle mais souhaitions plutôt établir des liens (artiste/artiste, public/artiste, public/public). Etant donné que nous voulions construire un réseau d'échange pour une prise de conscience collective, nous devions donc casser l'image de Mad's Collectif positionné dans les sphères du domaine de la musique, car si prise de conscience il y a, il est important de montrer qu'elle peut (doit) exister aussi partout ailleurs. En rennaissant sous la peau d'Avataria, nous continuons donc ce que nous avions entrepris, à savoir la construction d'une sorte de plate-forme où chacun s'implique comme il le veut, et ayant pour vocation d'apporter les bases pour une "constitution de savoirs" et l'établissement d'alternatives, reliées entre elles, émergeant aussi bien dans le domaine de l'informatique que dans celui de la musique.

 

Propos recueillis par Aris Papathéodorou fin octobre 2000

Références:
- Le Web de l'association Avataria
http://www.avataria.org
- Programme du Festival Avatarium
http://www.avataria.org/avatarium/som.htm
- Tony OldRat, Genèse des musiques électroniques
http://www.avataria.org/free/tony.htm
- Mad's Collectif, le mémorial
http://www.madsco.asso.fr