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Entretien avec Michel Valensi des Editions de l’Eclat
Par oblondeau -- 2001-07-18 16:51:41

Entretien avec Olivier blondeau, paru dans un dossier Livre numérique sur Powow.net - Février 2001



Lorsque nous avons pris contact pour réaliser cette interview, vous m'avez répondu "le livre électronique, qu'est-ce que c'est ?". Pourriez-vous m'expliquer cette posture ?

J'avais plutôt souvenir qu'on se tutoyait mais va-pour-"vous"... Le mot livre, on ne le sait que trop, vient du latin liber qui était la partie VIVANTE de l'écorce sur laquelle on écrivait... Dès lors que l'écorce est électronique, la question est de savoir si elle est aussi "conductrice", c'est-à-dire si elle est susceptible de transmettre ce courant qu'on lui a insufflé, ou si elle est "isolante" au point que le savoir qu'elle supporte ne pourra plus se transmettre (à un ami, à ses enfants, etc.) ... Voilà pour la boutade.
En fait, la question est plutôt- ou toujours - «le» livre ou «les» livres électroniques. Qu'un auteur en mal d'éditeur mette son roman ou son essai sur sa page personnelle, qu'un éditeur mette en ligne sur son site, contre paiement, des livres en ligne à télécharger, ou qu'il le fasse sous la forme du LYBER (gratuité des contenus, commercialisation des livres-pas-électronique par l'intermédiaire du réseau libraire) ou qu'une société privée s'approprie un nom (cybook® ou ebook® ou monculsurlacommodebook@...) parce qu'à ce jour elle est la seule à commercialiserun format qui devrait être à la disposition de tous les éditeurs, voilà autant de versions du livres électronique. Donc, oui, qu'est-ce que c'est? Toutes ces choses à la fois, ou chacune à son tour....

Pour beaucoup, le livre électronique constitue un progrès : allègement des supports, possibilité de lire différents types de supports écrits (livres, journaux), lien avec internet, hypertextualité, ... Etes-vous un éditeur ringard ? :-)))))

J'ai publié en 89 un auteur italien, mort en 1910: Carlo Michelstaedter qui écrivait dans La persuasion et la rhétorique: «Chaque progrès de la technique abêtit la partie correspondante du corps de l'homme.» ... Il n'empêche que «désormais nous avons le livre (électronique) et nous pouvons nous servir (aussi) de ce succédané. Il nous faut justement nous en servir de façon à ce qu'il ne soit rien d'autre justement qu'un succédané» (pour paraphraser encore un autre auteur de l'éclat (Giorgio Colli). Je ne sais pas où vous êtes allé chercher que j'étais opposé au livre électronique...
C'est comme si les Troyens avaient dit aux Grecs: «On est contre le cheval de Troie». (Ils auraient dû!) Une fois introduit dans l'enceinte de la ville, la question est de savoir quoi en faire, comment canaliser le flux de ce qui va lui sortir du ventre, comment faire en sorte que ce cheval devienne l'outil d'une défense renouvellée de la ville et non l'artisan de sa défaite ultime...


Les ouvrages que vous publiez aux Editions de l'Eclat ont la réputationd'être d'excellente facture (qualité du papier, reliure, typo, ...).

Merci...


Est-ce que vous vouez un culte à l'objet-livre ?

Disons que j'aime bien les livres, j'aime bien constituer une bibliothèque, j'aime bien pouvoir prêter mes livres et les voir revenir entiers... mais de là à vouer un culte au livre objet... Je ne crois pas que les livres de l'éclat puissent prétendre figurer dans des catalogues de bibliophilie (ou bibliolâtrie)... Simplement je m'en tiens à certaines règles, sans pour autant renoncer à recourir à des techniques plus modernes (et surtout moins coûteuses) de mise en page et d'impression... De fait, la partie de mon corps vouée à la typographie traditionnelle s'est totalement atrophiée (d'où cette tâche noire au beau milieu de mon front...)


Dans un texte paru dans l'anthologie Libres enfants du savoir numérique, vous défendez l'idée du Lyber. Pourriez-vous nous expliquer exactement de quoi il s'agit ?

Vous voulez parlez du livre dont les éditeurs sont Blondeau et Latrive? Le Lyber c'est la coexistence d'un même contenu sur deux supports. Un support papier, traditionnel, un LIVRE, vendu dans des librairies ET un support numérique que toute personne peut consulter, télécharger, imprimer à sa guise sur le site des éditions (gratuitement et intégralement). L'idée est simple: c'est la bibliothèque (et le projet lyber est né d'un colère à l'égard du débat sur le prêt payant en bibliothèque qui me semble l'ultime bataille qu'aurait dû livrer l'édition française...). Une bibliothèque sur le net dans laquelle le lecteur peut lire les ouvrages qui l'intéressent, mais à qui on signale que, les lisant, il intègre une «communauté» à laquelle appartiennent déjà des auteurs, des éditeurs, des libraires, etc. et que pour faire en sorte que cette communauté puisse continuer à «agir», sa contribution est nécessaire (utile, bienvenue, etc.). Comment contribuer? En achetant dans une librairie ce livre de tel auteur, publié
par tel éditeur, qu'il a aimé ou qui l'a intéressé, qu'il voudrait faire aimer à ses amis, offrir à ses proches, etc. C'est actuellement la manière la plus simple de contribuer, tant que le livre électronique n'a pas mis à mort le réseau libraire (ce qui semble être son - ou l'un de ses -
objectifs, quand on lit la plaquette envoyée aux éditeurs par les marchands de cybooks®...). Par la suite, et selon l'évolution du 'marché' du livre, il faudra penser à d'autres systèmes... Mais tant que les deux supports coexistent, il n'est pas HONNETE de vendre deux fois la même chose... et il est temps, comme le suggère Mario Tronti, de voir resurgir « le critère de
l'honnêteté» en ces temps de désertification des consciences. L'un des premiers éditeurs en ligne en France avouait récemment dans un entretien qu'une fois qu'il avait vendu une version numérique à un lecteur, si le livre avait plu, ce même lecteur revenait sur le site pour acheter la version papier. D'un strict point de vue commercial, c'est un très bon coup. Vendre deux fois un même "produit". La question est de savoir si le métier d'éditeur est SEULEMENT du commerce ou AUSSI du commerce..



Quelle différence y a-t-il entre un livre gratuit et un "Lyber" ?

La coexistence des supports. Il n'y a pas de lyber en ligne qui n'a pas son 'pendant' papier en vente dans les librairies...



Le Lyber est-il alors seulement un produit d'appel, un coup visant à inciter le lecteur à acheter le livre ?

Le Lyber c'est la possibilité laissée au lecteur de juger sur pièces. C'est un acte de confiance. C'est la restitution, ENFIN, de ce moment de gratuité et de don qui est propre à tout acte créatif. Que cette confiance se concrétise par l'achat d'un livre, oui, c'est mon objectif... Mais je n'avance pas masqué. C'est dit très explicitement sur le site et dans la licence...



N'avez-vous pas peur que votre travail soit pillé par des éditeurs peu scrupuleux ?

Il n'est pas question que des éditeurs aient le droit de télécharger des lybers et les commercialisent sous leur label, si c'est ce que vous laissez entendre. Je suis peut-être fou, mais pas forcément complétement crétin. Un auteur me confie un livre, j'en assume l'édition. Je vends son livre et permet à des lecteurs potentiels de le consulter à leur guise avant de l'acheter. Point. Il n'est pas question d'anticopyright, mais d'une licence qui est en cours d'élaboration sur le principe des licences GPL et autres, mais dont la spécificité c'est le double support...



Chacun peut aujourd'hui consulter sinon imprimer, sans débourser un centime, une grande partie de vos publications …

Une grande partie non, pas encore, mais d'ici la fin février je vais mettre en ligne plusieurs nouveaux lybers et préciser les choses (notamment la licence...) Il devrait y avoir une quarantaine de titres d'ici l'été...

… Le site consacré à l'Anthologie du Libre a reçu près de 40 000 visites alors que le livre en lui même a été vendu à un nombre d'exemplaires beaucoup plus réduit. Est-ce un constat d'échec ?

Les ventes réalisées à ce jour pour le livre Libres enfants du savoir numérique sont à la mesure exacte de ce qu'un tel livre peut espérer, quand il est publié chez un éditeur comme l'éclat. On peut même dire que les 40000 visiteurs de la version électronique ont permis que ces ventes ne passent en dessous du seuil de rentabilité, si on considère que le livre n'a pratiquement pas fait l'objet de compte-rendus sérieux dans la presse nationale (aucun quotidiens, aucun hebdos, aucun mensuels, non spécialisés) et que malheureusement cette presse n'est plus en mesure (ou n'a plus la volonté) de rendre compte d'ouvrages comme celui-là publié chez un éditeur comme l'éclat.
Le Net est AUSSI un moyen de contourner cet état de fait.



Dans le "Petit traité plié en dix sur le Lyber", vous jetez un pavé dans la mare du monde de l'édition. De votre point de vue, quel est le sens du métier d'éditeur et de son évolution ?


Il est possible qu'avec le petit traité plié en dix sur le lyber, je sois contraint de m'écrier bientôt avec Beuys : «Désormais je ne fais plus partie de l'édition française!»
L'urgence pourtant est de s'approprier ces nouvelles technologies pour qu'elles n'abêtissent pas entièrement les parties correspondantes de notre corps... De les presser, de les mêler aux techniques propres au livre.
D'occuper l'espace du net, avant qu'il ne soit envahi par des pseudos éditeurs qui pratiquent sans aucune vergogne le compte d'auteur ou servent abusivement d'agent littéraire à des auteurs le plus souvent perdus dans le cyberespace...
Il y a en France près de 3 millions de manuscrits qui circulent chaque année dans les maisons d'édition. 300 000 paraissent (il faudrait vérifier ces chiffres, mais la proportion me semble bonne). restent 2 700 000 d 'auteurs qui sont des proies assez faciles pour les vendeurs de vent (si on en juge par l'insistance avec laquelle certains auteurs nous proposent de l'argent pour être publiés - et que nous refusons, faut-il le préciser...)
Par ailleurs il me semble que c'est aux éditeurs eux-mêmes à convertir leurs fichiers aux formats ebook ou cybook de façon à alimenter EUX-MEMES ces machines pour ceux que ça intéresse, plutôt que de confier la commercialiser de leurs contenus à des sociétés qui sont dirigés par des gens qui, depuis belle lurette, ne se consacrent qu'au seul contenu de leurs poches...