”Ils pourront toujours se brosser avec leurs lois”

Samizdat est un collectif d'une dizaine de personnes, issues des milieux "alternatifs" et militants, et qui ont, grâce à l'Internet, développé des liens très forts avec d'autres collectifs européens. Aris Papathéodorou et Jean-Pierre Masse, la quarantaine joviale, sont deux de leur principaux animateurs


D’où vient Samizdat ?

- La préhistoire, c'est un projet de réseau télématique européen alternatif, l'European Counter Network (ECN) qui reposait en 1990 sur un circuit de BBS avec l'idée que l'on pouvait enfin communiquer en dehors des circuits traditionnels dominants. Après, Internet est arrivé et on a mis en place une mailing list d'information au tout début du mouvement de décembre 1995. David Dufresne a écrit un article dans Libération sur les différentes initiatives qu'il y avait sur le Net à propos des grèves et on est passé en quelques jours d'une quinzaine d'abonnés à 200. Petit à petit, une idée s'est structurée, la première idée politique autour de samizdat : Internet permet l’expression des sans voix, sans légitimité, sans papiers, etc., qui sont généralement dans la position d'être des sujets d'articles écrits par d'autres, mais qui n'ont jamais l'occasion de raconter et de s'exprimer par eux-mêmes. C'est aussi à cette époque que sont nés des contacts informels avec d'autres gens actifs sur le Net comme, par exemple, Fil du Diplo, Pascal Laporte, Isabelle de Zpajol, Dufresne de La rafale.

Quid de la Zelig Conf’ ?

- Zelig, ça vient du film de Woody Allen, avec son personnage qui mute tout le temps, apparaît tout le temps là où on ne l’attend pas... L’idée, c’est la fabrique des monstres, celui qui n’est ni militant, ni hacker, ni codeur, le monstre mythique qui est partout. Si on avait parlé de Hacker conférence, on nous aurait vu comme un rassemblement de pirates, si on avait parlé de " Communication alternative ", on nous aurait vu comme des militants casse-couilles. La Zelig Conf’, c’est la continuité et la synthèse de toute ce qu’on a fait, c’est la rencontre entre ceux qui sont issus du monde politique, ceux qui viennent du logiciel libre, et ceux qui font de l’hacktivisme, le Net générant des formes d’action qui lui sont propres. L’idée est de proposer sur un champ européen une rencontre entre ces gens-là : la France est au milieu, il n’y avait rien jusqu’à présent, on leur propose de converger à Paris. Il faut casser les frontières entre les militants et les hackers, les premiers n’ayant souvent pas compris la technologie, les seconds se méfiant des premiers. L'objectif est politique aussi et vise à dépasser la " contre-information ", une notion qui renvoie à la communication pour les militants par des militants. Un slogan inventé par les Espagnols de Sindominio défini assez bien cette idée : " Contre l'information, la communication ", autrement dit, abandonnons la logique à sens unique de l'information et de la contre-information pour produire du contenu, du sens, de la circulation, de la communication.

L’Internet vous a fait changer votre vision du politique ?

- Complètement. Le Net nous a appris une chose : c’est que la logique manichéenne inhérente à la politique interdit aux militants de se trouver des intérêts communs avec des acteurs de la société qui sortent de leur cadre idéologique, par exemple sur la question des brevets sur les logiciels, il est évident que nous avons les mêmes intérêts que des entreprises du secteur. Et bien, tant mieux, si c'est ce qui peut faire reculer la " privatisation " du code. Il y a plus de tabous en France que dans la culture anglo-saxonne, où le privé, qui est jugé sur ce qu’il fait et propose, et ne s’oppose pas forcément à l’intérêt collectif. Par contre, en matière d’économie, on voit beaucoup de conneries. Il n’y a pas de "nouvelle économie", par exemple, ça n’existe pas : il y a un cours nouveau du capitalisme, qui tend vers l’immatériel, une globalité de l’économie, une économie-monde, mais c’est de l’économie tout court.

Comment voyez-vous l’évolution législative de l’Internet ?

- En premier lieu, c’est assez effrayant, comme les propositions de surveillance du Réseau et des internautes. L’intimité des citoyens est globalement garantie pour la Poste, par exemple. Si les flics veulent ouvrir ton courrier, ils sont obligés de décoller et recoller les enveloppes, ce qui nous est déjà arrivé. Comment fonctionnait la censure dans les pays totalitaires ? Par le contrôle des stocks de papier. En démocratie, si ça a un sens, l’intimité des citoyens devra être reconnue comme un concept juridique. Si un pédophile envoie par la Poste une K7 pédophile, ça ne viendrait à l’idée de personne d’incriminer la Poste, pourquoi on incrimine Internet ? C’est un truc de logique basique ! A part ça, c’est comme la Corse : ils font les durs mais ils vont tout lâcher bientôt. Ils vont donner l’autonomie. Les États-nations pourront légiférer autant qu’ils veulent, on est là dans un autre monde. Et à moins de le défaire et de l’écraser, ils ne pourront pas y interdire quoi que ce soit.

Vous semblez optimiste...

- On est optimiste pour ce qui est des questions de propriété intellectuelle, de contrôle des contenus et de censure : ils pourront toujours se brosser avec leurs lois, ils n’ont pas les moyens de pouvoir censurer quoi que ce soit, on peut mettre ce qu’on veut comme on veut sur le Net. Et il ne faut pas pleurnicher, il faut leur montrer : c’est aussi pour ça qu’on s’est intéressé à FreeNet. Mais il y en a d’autres. Et puis, il y a aussi le mirroring qui permet de mettre en ligne ici et là des copies de sites censurés dans leurs pays, comme l’an dernier pour Nodo 50, interdit en Espagne. On est ainsi en train de travailler sur des kits multilingues que l’on pourra configurer à sa manière pour couvrir les grèves, les manifs et autres mouvements. L'idée est aussi de créer une base de données de ressources (scripts, manuels, infos, logiciels, fichiers de configuration, etc.) pour les ONG et le secteur associatif et militant afin que l’on puise s’échanger des données qui, une fois mise sur un serveur particulier, seront reprises dans les heures qui suivent sur les autres.

par Jean-Marc Manach

28 septembre 2000

www.transfert.net