Cette page est une copie pour archive de http://interactif.lemonde.fr/interview/0,5613,165102-interview-03-2001,FF.html
"Les néo-libéraux pensent qu'Internet est un marché où l'information peut s'acheter et se vendre. L'ironie, c'est que rien de tout cela n'arrive. " Le Monde, 19 mars 2001 Richard Barbrook qui enseigne à l'Université de Westminster entrevoit le développement d'une sphère technologique fondée sur une économie du don. Vous êtes associé à l'idée
de cybercommunisme. Certains y voient les prémices d'une économie
fondée sur le don, qui serait amenée à s'étendre
à d'autres domaines. De quoi s'agit-il ? L'idée du cybercommunisme ? C'est une blague. Un de mes amis enseigne à la Fordham University de New York. Fordham est une université jésuite. Il organisait une conférence sur l'héritage de Marshall Mc Luhan. Celui-ci aimait jongler avec des termes comme "village global". Peu importe s'ils ne sont pas vrais à 100 %, ils poussent les gens à réfléchir. Il y a deux ans, quand la bulle spéculative d'Internet a commencé à se développer, elle était perçue comme la perfection du capitalisme. Nous avons pris le contre-pied et l'avons présentée comme la perfection du communisme. Lors de cette conférence sur McLuhan, l'idée était de prendre la parole et de dire que la seule forme de communisme parfait a été inventée par les Américains, avec Internet. Il y a du vrai dans cette affirmation. Car le fondement d'Internet, c'est l'économie du don, telle que la pratiquent les universitaires. Non parce qu'ils sont nécessairement gentils ou sympathiques, mais parce que c'est un moyen pratique de travailler et de diffuser ses recherches. Ensuite, Internet a suivi son développement. La notion de cybercommunisme rencontre un certain succès, surtout depuis que les Américains l'ont reprise sous la forme de dot communism, ou communisme.com. Il est plutôt cocasse de remarquer l'effet de feed-back de l'idéologie de la droite libérale américaine, qui croit aux lois du marché et dont les pratiques sont inverses. Vous développez une théorie
autour de ce que vous appelez l'économie du don. Pourquoi ne
marche-t-elle que dans les pays développés ? Les néo-libéraux pensent qu'Internet est un marché où l'information peut s'acheter et se vendre. L'ironie, c'est que rien de tout cela n'arrive sur Internet. Bien sûr qu'on peut utiliser l'Internet pour gagner de l'argent, mais sûrement pas en achetant et en vendant de l'information. Sur Internet, l'information est donnée, et les gens veulent donner leur information : il suffit de regarder les listes de diffusions, le nombre de JPEG, de MP3, de mails qu'on reçoit par jour. Quels rapports établissez-vous entre
la liberté de parole, la censure et l'économie du don ? Vous vous opposez au projet de directive
européenne sur les droits de reproduction. Par quoi faut-il les remplacer
? Dans cette économie du don qu'est le MP3, il y a un élément aussi important que l'argent : c'est la notion de respect – dans le sens du mot jamaïcain du terme –, de reconnaissance. Quand vous êtes universitaire et que vous faites un emprunt, vous citez vos sources. Il faut en être fier : vous prenez l'information de quelqu'un et vous la citez, parce que vous avez trouvé qu'elle vous apportait quelque chose. La notion de copyrights devrait être davantage centrée sur cette notion de respect que sur la notion d'argent. La musique et les DJ sont un bon exemple de ce qui se passe dans le domaine du texte, de la vidéo, du recyclage permanent.
Propos recueillis par Pierre Bouvier |