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LA MUSIQUE EN LIGNE ? UN SERVICE PUBLIC !
POUR L'ACCÈS DE TOUS À LA ZIQUE SANS PASSER PAR NAPSTER OU QUELQUE START UP

12 novembre 2000

par Ariel Kyrou

 

 

À la fin du mois d'octobre 2000, Napster a annoncé la signature d'un accord avec le monstre Bertelsmann, accord qui fera bientôt de l'entreprise californienne un service de « distribution musicale en ligne, sécurisée et sur abonnement ». Est-ce la fin du téléchargement gratuit de musique en ligne dont Napster était le symbole ? Et que vont faire les 38 millions de « Napstériens » recensés ? Cette capitulation ne changera rien au désir des internautes de dénicher par tous les moyens de la zique gratos sur le Net sans se préoccuper des droits d'auteur. Les emmerdes ne font que commencer pour les majors du disque et c'est tant mieux. Mais il y a urgence à trouver des voies originales pour assurer l'accès de tous à la culture sans torpiller les artistes, et ces voies, parentes des chemins du logiciel libre, devront refuser sans ambiguïté la logique du profit.

La capitulation de Napster face aux majors

Napster ? Depuis mai 1999, son logiciel permettait aux internautes du monde entier de s'échanger sans bourse déliée toutes les musiques du monde. À partir d'un catalogue centralisé par le logiciel, de disque dur à disque dur, les internautes troquaient les vocalises de Madonna contre les pilonnages de Daft Punk, sans que la famille SACEM ni les dragons Universal, Emi et Warner ne touchent leur royale obole.

Nous sommes aux derniers jours d'octobre 2000. Sonne le deuxième Acte de l'épopée de la musique en ligne : après quatre mois de procès avec la RIAA (l'Association de l'industrie musicale américaine), et avant même que cette sarabande judiciaire ne soit close, la société Napster rentre dans le rang. Le petit e-moustique californien qui piquait les e-vaches des majors du disque annonce une alliance avec l'un de ces mastodontes qui l'avait placé devant les juges : Bertelsmann. Et les quelques 38 millions de « Napstériens » de notre planète connectée ? Demain, s'ils veulent continuer à troquer leurs coups de cœur musicaux sous format de compression numérique mp3, ils devront verser 38 francs par mois dans le porte-monnaie de la société qui naîtra de l'accord de Napster et de Bertelsmann…

Le désir de musique gratuite plus fort que Napster

Une question se pose : ces « Napstériens » vont-ils payer pour puiser dans le catalogue de Bertelsmann et sans doute demain des autres majors ? Non. Seule une minorité de gugusses passera à la caisse. Car le succès de Napster repose sur le mariage d'une technologie et d'un appétit de musique gratuite. Enlevez le fleuve sans limites de jazz, de techno, de pop et de hip hop, et vous n'aurez que l'outil sans l'usage. Mettez-y des barrages, des péages et des douaniers, et vous verrez les nageurs et bateliers emprunter les rivières, gratuites et libres de tout flicage. Ce qui n'empêchera les plus fortunés de prendre de temps à autre le fleuve bien policé par les majors, histoire de se payer une balade confortable et de donner le change avant de reprendre des cours d'eau plus franchement hérétiques…

Demain le haut débit : que les majors frémissent !

Nos 38 millions de « Napstériens », pour la plupart, n'avaient pas d'accès au Net en haut débit. Et il leur fallait des heures pour télécharger titres ou surtout albums en mp3, et les nuits leur étaient très fructueuses. Demain, surfant en toute fluidité grâce aux ondes et aux tuyaux du haut débit, ils téléchargeront sans coup férir en mode TGV. Pensez-vous qu'ils choisiront le site payant marqué du sceau des majors ou le site de musique gratuite dans l'esprit de feu Napster ?

Freenet et Gnutella : des communautés, pas des entreprises !

Car Napster a d'ores et déjà des petits frères qui peaufinent des technologies plus « rebelles » encore, même si pas toujours simples d'accès : Gnutella et Freenet. Là où Napster supposait le passage par un centre serveur avant que les internautes ne se livrent à leurs échanges de disque dur à disque dur, Gnutella et Freenet sont des logiciels décentralisés, opérés par des zozos repartis sur l'ensemble du réseau et bien souvent anonymes… Enfin, là où Napster revendiquait un statut d'entreprise, Gnutella et Freenet ne se veulent que des communautés. Et ce petit détail change tout…

Impossibles à localiser car sans le moindre centre, Freenet et Gnutella ne recherchent pas le profit, mais agissent pour le libre accès de tous à la culture. S'ils refusent de payer à la SACEM et ses équivalents dans le monde des droits d'auteur, c'est au nom d'une éthique, refusant toutes censures et rêvant peut-être d'une société de créateurs pirates. Et demain, sachez-le, à la musique sous mode mp3 s'ajouteront des films en format de compression DivX.

Quelle sera la réponse des institutions et des monstres du loisir ? La répression policière et cyber-policière ? Certes, mais comment remonter aux coupables ? Dans l'impossibilité de traquer les maîtres de Freenet et Gnutella, vont-ils traquer chez eux les « consommateurs » allergiques au copyright ? Big brother es-tu là ?

Ce n'est pas le Net mais la musique de merde qui tue la musique

Déjà, dans le passé, les maisons de disque ont crié haro sur la cassette enregistrable ! Elle allait tuer la musique, qu'ils disaient. Selon Bono, leader du combo U2 interrogé début octobre 2000 par Libération, le Net n'assassinera pas plus la musique que la cassette audio ne l'a desservie. Ce qui tue la musique, c'est la « musique de merde ». Jamais, d'ailleurs, les ventes de Cd aux Etats-Unis ne se sont aussi bien portées qu'au moment où Napster cassait la baraque. Comment, en ce cas, se prononcer contre l'idée que des jeunes sans le sou se servent du Net pour découvrir des milliers de musiques qu'ils n'auraient pu découvrir autrement ? Bono vote pour. Et nous aussi. Mais l'artiste d'ajouter : le seul problème, ce serait que « Mr Napster » se serve de son logiciel et de ses échanges entre 38 millions d'amis pour faire grimper son cours au Nasdaq. Et là, Bono frappe juste : l'accès gratuit de tous à la culture est une mission de service public, sûrement pas un modèle économique…

Les internautes et les artistes indépendants contre les majors ?

En octobre 2000 toujours, un jeune homme de 26 ans a écopé de 20.000 francs d'amende et de 4 mois de prison avec sursis pour avoir proposé depuis son propre site web des liens vers des sites de téléchargement gratuit de musique en format mp3. Une honte, démontrant s'il en était besoin la tendance naturelle du juriste à protéger le puissant crapaud contre le têtard citoyen, l'entreprise dépensant des millions en placards de pub contre le site indépendant profitant du « bouche à mail » et des liens hypertextes pour attirer à lui les internautes.

Enfin, si l'on prend le point de vue de l'auteur ou du label indépendant, vaut-il mieux condamner l'étudiant désargenté à la diète musicale et cinéphile ou lui permettre de se construire une culture dans l'espoir qu'il ait demain les ronds pour apporter son obole aux artistes ? Et puis selon quel principe absurde les intermédiaires tels les mastodontes de la SACEM et les triceratops du loisir seraient-ils incontournables pour récolter les droits ? Le Net permet de se passer d'eux. Oublions-les.

Plaidoyer pour un service public iconoclaste

Au lieu de réprimer, pourquoi ne pas applaudir aux multiples échanges de musique sur le Net ? Pourquoi ne pas les encourager mais selon une logique de service public ? Un service public au sens noble du terme… Pas le service public de France Telecom ou des couloirs de l'ANPE mais celui des bibliothèques municipales où chacun peut emprunter des CD sans bourse délier. Un service public sans rond-de-cuir, une organisation virtuelle de l'ère de Linux et de la Licence Art Libre de « copyleft Attitude ». Outre sa simple fonction d'accès à la culture sous mp3, il guiderait l'internaute vers des artistes rares et plus difficiles, proposerait des samples et des références historiques, ferait découvrir de bons vieux ancêtres, ouvrirait l'horizon de tous...

Premières pistes pour une construction libre et salutaire

Le financement de ce service public inédit ? Et le paiement des artistes ? Saviez-vous qu'à chaque cassette audio achetée, vous payez une taxe qui va dans la poche des intermédiaires du disque. Pourquoi ne pas étendre ce principe au CD enregistrable mais au bénéfice de notre nouveau service public ? Enfin, chaque usager de ce service universel de téléchargement gratuit pourrait décider, en cas d'extase musicale et d'une santé financière lui permettant cet acte généreux, de donner des deniers à tel ou tel artiste après avoir puisé gratuitement dans l'océan de musiques... Comme un pourboire d'un nouveau style, électronique et libre.

De façon générale, l'emprunt se ferait en mp3, et serait donc plutôt de l'ordre du cadeau, mais qu'importe ? Qu'il s'agisse de l'internaute mettant ses musiques sur CD ou des Napster du futur, le problème des droits ne se poserait qu'en cas de plus-value du lycéen ou de l'entreprise. Lorsque l'un vendrait à ses potes des CD copiés à 80 balles au lieu des 10 balles de support, ou quand l'autre en profiterait pour négocier de la pub et faire grimper ses actions. Sinon, foin de copyright ! Et houra pour le bazar de toutes les musiques, les plus costard cravate comme les plus delirium très mince ! Sur un site de service public, mondial of course.

P.S. Quelques sites utiles pour en savoir plus...

> Gnutella
> Napster
> Les articles de Libération sur le mp3 et Napster
> Le Dossier sur la Musique en Ligne de Powow.net