L'APRIL contre la redevance sur les contenus numériquesEn ce début de troisième millénaire, il semble que beaucoup de mouvements se créent autour des nouvelles technologies. Afin de ne pas se sentir débordé, et dans le but de se donner encore une illusion de contrôle sur les contenus numériques, l'État préfère émettre des barrières législatives plutôt que de chercher à comprendre les phénomènes et à les réguler. Hier, l'affaire Yahoo. En ce moment, les brevets sur les logiciels. Et ces jours-ci, une nouvelle redevance apparaît sur les supports numériques. L'APRIL, l'Association pour la Promotion et la Recherche en Informatique Libre (http://www.april.org/), ne peut pas rester insensible à une telle démarche, et ce sur différents points, tant économiques qu'éthiques ou légaux. Cette redevance part du principe que les auteurs et les sociétés d'auteurs
ont un manque à gagner à cause de copies de contenus culturels sur des
supports numériques vierges disponibles à la vente sur le marché. Cependant,
cette redevance va s'appliquer pour tous les usagers de contenus numériques
(et en particulier ceux qui ne font ni n'utilisent de copies de contenus
audiovisuels) se contentant de frapper à l'aveugle l'ensemble des consommateurs.
Devant une telle pratique, le parallèle avec la célèbre réplique d'Arnaud-Amaury,
abbé de Citeaux, lors du massacre de Béziers en 1209 contre les « hérétiques »
albigeois : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens »
ne serait pas incongru. En effet, la majorité des CD-R et CD-RW n'est pas utilisée pour stocker
des données musicales. Cet usage en particulier est estimé d'après le
SNEP (Syndicat National de l'Édition Phonographique) à un tiers seulement
de l'utilisation des CD-R ; les deux tiers restants correspondent
à d'autres types de copie privée. De plus, dans l'ensemble des CD-R utilisés
dans le but de stocker des données musicales, une bonne partie, hélas
difficile à chiffrer précisément, correspond à des oeuvres libres de droits
ou à des copies expressément autorisées par les artistes eux-mêmes. Revenons un court instant sur l'article L321-9 Alinéa 3 du Code de la
Propriété Intellectuelle tel qu'il était défini le 3 juillet 1985 : (http://www.sacd.fr/fd_td_copie_privee.htm)
Prenons maintenant quelques exemples :
Ces exemples ne sont malheureusement qu'un très bref échantillon des aberrations que pourrait produire ce système une fois mis en place. Mais le problème ne s'arrête pas là. En effet, la question de la rétribution
des auteurs se pose. Dans quelle mesure cette action pourrait-elle favoriser
les jeunes talents ? Aucunement ! La redevance, tout d'abord,
sera reversée à la SACEM et à la SORECOP, alors que beaucoup d'auteurs
et d'artistes n'appartiennent pas à ces sociétés, qui sont très strictes
quant à leurs règles d'admission et sont loin d'être gratuites. Car cette redevance ne revient même pas à l'État, elle est légitimée par l'État pour des groupes qui lui sont indépendants. Plus encore, la décision en revient à une commission dont l'impartialité n'est pas clairement établie. Cela pose un sérieux problème moral, qui nous confirme chaque jour de plus en plus le fait que ce n'est plus le gouvernement qui dirige les affaires de la République mais une poignée de sociétés toutes puissantes dont la gestion reste obscure pour la quasi-totalité de la population et qui n'ont que faire des intérêts des citoyens (au niveau Européen, prenons l'exemple de l'Office Européen des Brevets dont la politique en matière de propriété intellectuelle va à l'encontre de l'ensemble des institutions européennes actuelles). D'autant plus que les ventes de contenus audio et vidéo ne se sont jamais aussi bien portées que cette année. Est-ce là un aveu d'impuissance de l'État face à certains lobbies tout rayonnants ? Au final, cette redevance va même peut-être engendrer de fâcheuses conséquences sur le plan économique. En effet, de nombreux marchés parallèles s'établiront pour aller se « fournir » à l'étranger, par convois ou par commandes sur Internet. Et qui en pâtiront les premiers, si ce ne sont les commerçants français ? Sur ce genre de matériel, la France est en effet largement en tête des redevances imposées, alors que beaucoup de pays de l'Union européenne ne veulent même pas entendre parler de ce genre de redevance. Imaginons un instant un parallèle avec l'informatique actuelle, où le marché est inondé par des produits de grandes sociétés multinationales. Imaginons que l'on mette en place une redevance qui rétribue les auteurs des logiciels. Une part énorme irait aux géants sous le seul prétexte que leurs logiciels ont un coût et parce qu'ils passent par le circuit « classique » de distribution du logiciel. Mais rien ne reviendrait aux auteurs de logiciels libres, tels que le logiciel bind, qui est à la base même d'Internet tel qu'on le connaît ou même aux auteurs indépendants de shareware, pourtant à la pointe de l'innovation Européenne en matière de logiciels. Pourquoi ne seraient-ils pas rétribués à leur juste valeur ? Parce que ce mode de répartition est tout simplement aberrant et parce qu'il est impossible d'évaluer pertinemment l'impact d'un contenu culturel sur une population à partir du moment où il possède une part de liberté. De même et pour revenir au matériel informatique, si nous commençons à taxer les disques durs au prorata de la capacité de stockage, la croissance fulgurante du matériel dans ce domaine fera que d'ici 2 à 4 ans, on payera plus en redevance que le coût initial du matériel. Allons nous vers un « droit à l'informatique », réservé aux plus riches ? Cela va totalement à l'encontre de la volonté de M. Jospin, dont une des volontés est la démocratisation en masse de l'usage de l'informatique. Ce n'est pas en créant des redevances illégitimes à tour de bras qu'on va dans ce sens. Il serait plutôt sage non seulement de mettre en place une vraie réflexion avec des personnes compétentes dans le domaine, qui comprennent les enjeux des technologies numériques et qui ne sont pas juges et parties, mais aussi de favoriser au maximum les possibilités d'accès aux ressources d'Internet par le plus grand nombre et ce de la manière la plus démocratique possible. L'APRIL demande donc purement et simplement le retrait des redevances
sur les supports numériques, en particulier CD-R et CD-RW et s'oppose
à l'établissement de redevances plus générales telles que celles sur les
disques durs ou les mémoires d'ordinateurs. Ce faisant, l'APRIL va dans
le sens des pétitions présentes sur les sites http://www.vachealait.com/
et http://www.atcd.f2s.com/, ainsi
que de l'action du SIMAVELEC. Fait à Paris, le 16 janvier 2001 |