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LES CYBER-RÉSISTANTS DU LIBRE 17 octobre 2000 par Taz
Pour beaucoup, le logiciel libre, fortement lié
à l'Internet et à ses modes de communication associés n'est que le prémisse
d'une cyber-révolution en marche. D'ailleurs, au vu d'évènements relativement
récents (mobilisation de Seattle du 30 nov 99, succès d'ATTAC, etc.),
on ne peut nier que les outils électroniques de communication prennent
une place de plus en plus importante dans la mobilisation citoyenne.
Le fantasme du cyber-résistant prend forme. On peut même rêver que,
malgré le lobbying intense de grosses structures américaines et de spécialistes
en propriété intellectuelle, le Parlement Européen ne procède pas à
l'imminente modification de l'exception logicielle des paragraphes de
la convention de Munich sur le brevetage. Pour autant, comme le rappelle Serge Halimi [1],
les formes de mobilisation progressistes les plus efficaces et les plus
démocratiques ne sont pas nécessairement les plus modernes. Il cite
notamment parmi les écueils à éviter, celui de négliger l'impératif
de l'organisation.
Nul ne peut nier qu'Internet, notamment par l'instauration
de relations transversales entre individus, par l'accès rapide et facile
à de l'information, par l'interconnexion globalisante des esprits humains,
par la rapidité de circulation des communications est un lieu idéal
pour l'action, mais l'action rapide, immédiate, vite organisée, vite
oubliée. Pas l'action à long terme.
Souvenons-nous que le préfix « cyber » de
l'expression cyberculture vient du grec cyber, dont l'éthymologie est
partagée par les mots « gouverner » et « gouvernail ».
Ainsi, on peut considérer la cyberculture comme une culture du gouvernail
et du gouvernement. Le gouvernail étant la partie d'un bateau, d'un
avion qui assure sa direction. La cyber-résistance, dont l'un des plus
beaux fleurons, qui est aussi le seul produit réel de la cyberculture,
est le logiciel libre ne peut se passer de gouvernail. Et un groupe
d'individus communiquant principalement par des moyens électroniques
doit tenir compte de règles de gouvernance, au risque sinon de ne rien
produire du tout. Le cyber nous fournit un gouvernail, et Richard Stallman
nous fournit sans doute un cap à suivre.
En effet, le succès du logiciel libre est principalement
la conséquence d'une volonté, celle de Richard Stallman, qui a su matérialiser
une idée révolutionnaire basée sur une réelle réflexion/vision politique
à long terme. Le libre n'a pas été une révolution immédiate, mais plutôt
un long changement de société. Richard Stallman lui-même conçoit le
libre comme une révolution pratique et anti-utopique.
Ainsi, la réussite de Richard M. Stallman dans sa lutte
vient de son habileté à éviter les écueils cités par Halimi. Au niveau
des associations françaises, prenons l'exemple de l'APRIL à laquelle
j'ai le bonheur de participer et dont la force est justement de tenir
compte des limites de la cyber-résistance et de mettre en place une
structure adequate. A bien y regarder, alors même que tenant compte
du changement de mentalité où le militant est un incitateur d'action,
participant à la définition de la stratégie politique et activiste globale,
une association comme l'APRIL fonctionne principalement par le bon usage
de l'intelligence distribuée, utilisant au mieux la capacité de chacun,
distribuant les tâches, entraînant une mobilisation dans l'organisation [2].
Si on se base sur le nombre d'acteurs (et notamment
les LUGS), on pourrait penser qu'il y a de nombreux militants prêts
à agir pour leurs idées. Le problème est que la majorité d'entre eux
se contentent d'aspects techniques et assimilent le débat d'idées à
une vaine querelle. Les forts en gueule sont également légion, rois
du verbiage, producteurs d'opinions et de sentences, mais plus rarement
d'actions. L'activisme n'est pas seulement déterminé par la capacité
à créér une liste de discussion (et encore). Ceux qui le pensent ne
sont finalement que des « cyber-neuneus se taillant des pipes virtuelles »
à longueur de journée.
Pour citer Philippe Quéau, à qui je dois la métaphore
précédente du gouvernail : « La cyberculture est une culture
de gouvernail et de gouverment : navigation et gouvernement de
soi-même, gouvernement du collectif, gouvernement de personnes libres
s'assemblant virtuellement sur la nouvelle agora du monde. »
Le logiciel libre est l'expression la plus parfaite
de cette agora, mais, pour autant, la résistance technique, politique
et culturelle dans l'espace électronique a tout intérêt à tenir compte
de l'expérience de l'activité militante traditionnelle. Scander « Linux,
Linux, Linux » derrière son clavier ne fait pas de vous un cyber-résistant
ou un hacktiviste.
P.S. Copyright (C) 2000 Jérôme Dominguez. Les
copies conformes et versions intégrales de cet article sont autorisées
sur tout support pour peu que cette notice soit préservée.
Cet article est paru initialement dans la revue Linux
Loader numéro 4.
[1] Serge Halimi, « Des
"cyber-résistants" trop euphoriques », Le Monde Diplomatique,
août 2000
[2] Voir par exemple l'opération
Amazon.
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