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L'UESPF défend les semences
de ferme et le tri à façon

[La Terre, semaine du 4 au 10 avril 2001]


L'Union Européenne des Semences et Plants de Ferme (UESPF) dénonce l'appétit du lobby semencier et son "rêve de faire du marché de la semence un marché captif en créant les conditions, réglementaires ou technologiques, obligeant les agriculteurs à racheter chaque année des semences" certifiées.

 


La Coordination Nationale de Défense des Semences Fermières (CNDSF) et ses militants ont largement contribué à la création de l'UESPF, à l'issu d'un colloque Européen sur la semence de ferme organisé en décembre 1999 à Paris. Actuellement, l'UESPF regroupe l'I.G. Nachbau (Allemagne), le Mouvement d'Action Paysanne, le syndicat Fuja et des trieurs à façon (Belgique), la C.O.A.G. et l'E.H.N.E. (Espagne, Pays basque), la C.N.D.S.F. (France), le N.A.V. (Pays-Bas). Son objectif est d'assurer le maintient du droit séculaire et inaliénable des paysans d'utiliser librement la faculté des plantes à se reproduire elles-mêmes. Selon l'UESPF, La semence de ferme assure, à l'agriculteur, sa liberté de choix, la conservation de son rendement, la réduction de ses coûts de mise en production, la maîtrise de sa production de semences vis à vis des aléas du marché, la réduction des déplacements de la semence d'où une meilleure traçabilité et un risque limité de contamination (exemple, par des OGM). De part ses atouts la semence de ferme peut remplacer l'onéreuse semence certifiée. En effet, l'agriculteur utilisant des semences certifiées débourse entre 250 et 300 F de plus, par hectare ensemencé, qu'un agriculteur employant des semences de ferme, d'après Alain Gaignerot, Directeur du Modef, un syndicat d'exploitants agricoles membre de l'UESPF et de la CNDSF. Par ailleurs, "des millions d'agriculteurs des pays en voie de développement n'ont pas les moyens d'acheter des semences certifiées", souligne Alain Gaignerot. Depuis plusieurs années, une partie de la filière des obtenteurs et des organismes multiplicateurs, c'est-à-dire des producteurs de semences certifiées, pousse l'Etat Français et l'Union Européenne à réglementer pour se protéger de la concurrence des agriculteurs et des entrepreneurs de triage à façon.

Une visite à Bruxelles

Fin février, des représentants de l'UESPF et de la CNDSF ont été reçus officiellement par le conseiller agricole du cabinet de Nicole Fontaine, la Présidente du Parlement européen de Bruxelles, et par Graefe Zu Baringdorf, le Président de la Commission agricole de ce Parlement. A l'issu de cet entretien, ils ont remis, à ce conseiller et à monsieur Baringdorf, un document rappelant les revendications et propositions de l'UESPF. "Le conseiller de madame Fontaine nous à informé qu'elle était à notre écoute", précise Jean-Pierre Delage, Président de la CNDSF. "Le deuxième jour de notre visite à Bruxelles, monsieur Zu Baringdorf s'est déclaré satisfait de l'existence de notre mouvement étant lui-même sensible à la défense des semences de ferme. Il a reconnu, que notre démarche avait plus de chance d'aboutir aujourd'hui qu'il y a dix ans", ajoute Yves Manguy, Porte-parole de la CNDSF. Face aux pressions des obtenteurs et des semenciers à l'égard des agriculteurs européens pour imposer progressivement l'usage de la semence certifiée au détriment de la semence de ferme, les membres de l'UESPF vont engager une campagne d'information. Cette dernière vise à interpeller les députés et sénateurs français, les députés européens, en vue d'obtenir la suppression du principe de taxation de la semence de ferme, contenu dans le règlement européen (2100/94), et l'annulation de la directive concernant la subordination des primes PAC, pour le blé dur, à l'utilisation de la semence certifiée. Par ailleurs, l'UESPF envisage, prochainement, une action d'envergure européenne en soutien aux quelques 4500 paysans allemands poursuivis pour avoir refusé de transmettre des informations, sur leurs pratiques en matière de semences, demandés par le syndicat des obtenteurs allemands. "Plusieurs avocats représentants ces agriculteurs veulent interpeller la Cour européenne de justice dans le but de remettre en cause toutes les procédures judiciaires. Car, ils pensent que les exigences des obtenteurs vis à vis de ces agriculteurs constituent une atteinte à la liberté individuelle. Mais, l'hypothèse de ces avocats est que la Cour européenne ne prendra pas position dans cette affaire et se retournera vers le Parlement européen", précise Yves Manguy.
"Une médiation bidon !"
En France, à la demande des obtenteurs, associés à l'Association générale des producteurs de blé (AGPB) et à la Fédération des producteurs d'oléagineux (FOP), un médiateur, monsieur Grammont, nommé par le ministère de l'agriculture pour trouver une solution au dossier des semences de ferme, a rédigé un rapport conclu le 23 mai 2000. La CNDSF n'a pris connaissance de ce document que... courant mars 2001 ! De plus, à la lecture de ce rapport il apparait que le monsieur Grammont ne fait à aucun moment état des positions et propositions de la CNDSF. Pour la Coordination, qui s'exprimait à ce propos dans un communiqué de presse du 26 mars dernier, "cela conduit à s'interroger sur sa qualité réelle de "médiateur" dans la mesure où ses propositions reflètent seulement la position des demandeurs : la FOP et l'AGPB de la FNSEA et de la SICASOV. Ces mêmes qui avaient pris position dès 1989 contre le triage à façon, poursuivent encore leur guerre contre la semence de ferme. En conséquence, la CNDSF ne peut accepter ce rapport en l'état. Cette proposition unilatérale est le résultat d'une médiation bidon et ne peut servir de base à un accord reconnu par toutes les familles professionnelles impliquées. Cependant, la CNDSF reste ouverte à une rencontre avec monsieur Grammont, tout en étant opposée à la prise en otage des agriculteurs utilisateurs de la semence de ferme !"

Jean-François Rivière.

UESPF, CNDSF, 104, rue
Robespierre,
93170 Bagnolet.
Tél et Fax : 01 43 62 71 34.


Historique du combat en faveur des semences fermières


Jusqu'en 1970, le triage des semences se pratique de façon artisanale dans les fermes. Dans les années 70 se développe le triage à façon sous la forme de services semi-industriels. Au milieu des années 80, les multiplicateurs de semences voient leurs parts de marché baisser. En 1989, en accord avec le ministère de l'agriculture, les obtenteurs et la FNSEA signent un accord interprofessionnel interdisant le triage à façon et l'utilisation du matériel en commun, nécessaire au triage, par les agriculteurs. Ceux qui continuent à trier les semences risquent de lourdes amendes.

En réaction à cette interdiction, la Confédération Paysanne, le Modef, la Fédération Nationale des Agriculteurs Biologiques, la Coordination Rurale et le Syndicat des Trieurs à Façon de France constituent la Coordination nationale de défense des semences fermières. En 1991, lors de la conférence de l'Union pour la protection des obtentions végétales (UPOV) à Genève, la CNDSF s'oppose une fois de plus aux obtenteurs qui cherchent à interdire l'utilsation des semences fermières. Le réglement européen sur les obtentions végétales de 1994 prévoit une taxe sur l'utilisation des semences fermières à versers aux obtenteurs.

Mais, un réglement de 1995 complique la tâche des obtenteurs en empêchant les organismes qui gérent les subventions de la Politique agricole commune de divulguer les informations nécessaires au calcul de cette taxe. La Sicasov, une structure qui regroupe les obtenteurs et a pour tâche de récuper les royalties, a alors décidé d'envoyer un questionnaire à tous les agriculteurs. Ces derniers doivent indiquer les quantités et les variétés de semences de ferme qu'ils utilisent. Du fait du faible nombre de réponses obtenues et des contraintes réglementaires, seul 3 % des agriculteurs sont susceptibles de payer une taxe. Face à cet échec les obtenteurs vont jusqu'à rembourser les agriculteurs qui avaient déjà payé leur taxe.

Depuis 1994, de grands groupes pharmaceutiques et agrochimiques, détenteur de participations chez les obtenteurs, réservent leurs nouveaux produits de traitement des semences aux stations semencières industrielles. De cette façon, ces sociétés justifient le surcoût des semences certifiées par la plus grande technicité des traitements appliqués. En outre, les anciens produits phytosanitaires sont peu à peu retirés du marché, ce qui constitue un risque d'accélération de la disparition du triage à façon et des semences de ferme.

Source : "Quel avenir pour les semences de ferme ?", par Jean-Pierre Delage, actes du séminaire européen des 3 et 4 décembre 1999 organisé par la CNDSF et la CPE (Coordination Paysanne Européenne). Les professionnels (semenciers, trieurs à façon...) peuvent se procurer ce document sur simple demande auprès d'Olivier Clément. Tél. : 01 43 62 71 34.




La Terre, semaine du 4 au 10 avril 2001.