Cette page est une copie pour archive de http://interactif.lemonde.fr/article/0,5611,3044--175057-0,FF.html


Pour le droit d'auteur

La chronique d'Olivier Blondeau

Le Monde, Edition du mercredi 25 avril 2001


" Abolition de la propriété intellectuelle ", " La propriété intellectuelle, c'est le vol ", on assiste ici ou là depuis quelque temps à la multiplication de déclarations à forte consonance proudhonienne sur la question de la propriété industrielle, littéraire ou artistique.

Qui s'en plaindra ? Finis les arguments fallacieux, les beaux yeux d'Axel Red ou la moustache débonnaire de Jean Ferrat, le débat prend aujourd'hui une dimension nouvelle : celle qui traverse et prolonge les rêves " d'émancipation par la connaissance " d'un Jefferson ou d'un Condorcet. Chacun, à sa manière et dans le contexte historique qui est le sien (révolution américaine et française), a pesé pour faire avancer l'idée que l'accès au savoir était un des outils privilégiés de l'émancipation humaine. La dimension nouvelle est ce qui inscrit le débat dans une dimension philosophique (au sens noble du terme) et pas seulement dans le pathos développé par les éditeurs. Ce débat se cristallise autour de ce qui pourrait bien se révéler un véritable enjeu de civilisation : comment garantir un accès universel à la connaissance et à la culture, à l'heure où les informations circulent à la vitesse de la lumière et où le savoir aiguise les appétits de quelques habiles marchands ?

Pour séduisante que soit l'analogie avec le fameux titre du livre de Proudhon (Qu'est-ce que la propriété ?), il convient de rester prudent en ne cédant pas trop rapidement à la facilité d'un bon mot ou à la tentation, dans la précipitation, d'un discours étroitement manichéen.

La propriété, entendue au sens traditionnel, vise à garantir la jouissance exclusive d'un bien par une personne ou par un groupe et à en priver tous les autres. Chacun comprend bien, même si bien peu songent encore aujourd'hui à le revendiquer, pourquoi ce type de propriété peut être assimilé à du vol. Il en va d'une tout autre manière dans le domaine de la propriété intellectuelle : l'ensemble de la législation en matière de droits d'auteur vise moins à priver qu'à garantir précisément un juste équilibre entre, d'une part, le droit des auteurs à jouir pendant une période donnée du fruit de leur travail et, d'autre part, le droit pour le public d'avoir accès à la connaissance et à la culture.

C'est ce principe et cet équilibre même qui sont aujourd'hui mis en cause par ceux qui souhaitent se passer du droit des auteurs et du public pour rabattre la problématique de la propriété intellectuelle sur celle, plus classique en même temps que plus facilement marchandisable, de la propriété privée.

Ainsi, du côté des " abolitionnistes ", on retrouvera certes de généreux partisans de l'accès universel au savoir. Mais on trouvera aussi le RIIA, cette fameuse association regroupant les géants de l'industrie du disque qui, après s'être livrée à une chasse impitoyable aux prétendus pirates, ne revendique aujourd'hui rien de moins que de pouvoir échapper au droit d'auteur. On trouvera peut-être ces éditeurs de bases de données et ces grands groupes de presse américains qui refusent de rémunérer les journalistes indépendants lorsqu'ils réutilisent leurs articles sur de nouveaux supports, au point que ceux-ci ont décidé de porter l'affaire devant la Cour suprême des Etats-Unis.

Non, décidément, la solution n'est pas du côté de l'abolition, mais bien plutôt de celui du retour - adapté aux nouvelles conditions socio-techniques - à cet équilibre subtil garantissant à la fois le droit des auteurs et celui du public...

Olivier Blondeau, sociologue

Olivier.blondeau@freescape.eu.org