Quelques expressions
trompeuses qu'il vaut mieux éviter d'employer
par Richard Stallman
Nous recommandons d'éviter l'emploi d'un
certain nombre d'expressions, soit parce qu'elles sont ambiguës,
soit parce qu'elles sous-entendent une opinion dont nous espérons
que vous ne la partagez pas entièrement.
GRATUITEMENT
Si vous voulez dire qu'un programme est un logiciel
libre, ne dites pas, s'il vous plaît, qu'il est disponible «gratuitement».
Ce terme signifie exactement «à un prix égal à
zéro». Or les logiciels libres (free software) ne
sont pas une affaire de prix, mais de liberté.
On peut souvent se procurer gratuitement des exemplaires
de logiciels libres - en les téléchargeant, par exemple,
via FTP. Mais il est également possible de les acheter sous forme
de CD-ROM ; qui plus est, des exemplaires de logiciels commerciaux sont
parfois offerts gratuitement à l'occasion d'opérations
promotionnelles, et certains de ces logiciels sont couramment mis sans
frais à la disposition de certains utilisateurs.
Pour éviter la confusion, vous pouvez dire qu'un
programme est disponible «sous forme de logiciel libre».
LOGICIELS GRATUITS
Ne faites pas, s'il vous plaît, de l'expression
«logiciel gratuit» un synonyme de «logiciel libre»
(freeware). Le terme freeware était souvent employé, dans
les années quatre-vingt, pour désigner des programmes
disponibles tels quels, sans que les utilisateurs puissent avoir accès
au code source. Aujourd'hui, ce terme n'a plus de définition
particulière généralement acceptée.
Si vous vous exprimez dans d'autres langues que l'anglais,
essayez d'éviter l'emploi d'expressions anglaises tels que free
software ou freeware. Essayez plutôt de vous servir des expressions
moins ambiguës dont votre langue dispose, par exemple :
français : logiciel libre
allemand : freie Software
russe : svobodny programy
chinois : ziyou ruanjian
japonais : jiyuu [na] sofuto
esperanto : libera programaro
suédois : fri programvara
néerlandais : vrije software
En vous exprimant dans votre propre langue, montrez
que vous vous référez à la notion de liberté
sans reprendre mécaniquement de mystérieuses notions commerciales
étrangères. La référence à la liberté
paraîtra peut-être, au premier abord, bizarre ou dérangeante
à vos compatriotes, mais ils s'y habitueront vite et pourront,
de ce fait, comprendre la véritable signification des logiciels
libres.
LOGICIELS OFFERTS
Il est trompeur de dire qu'un logiciel est «offert»
lorsqu'on veut dire qu'un programme est «diffusé sous forme
de logiciel libre». C'est le même problème que pour
l'expression «gratuitement» : on donne à croire qu'il
est question du prix, alors que c'est de la liberté qu'il s'agit.
Il est possible d'éviter cette confusion en disant «diffusé
sous forme de logiciel libre».
PROPRIETE INTELLECTUELLE
Les éditeurs et les juristes aiment décrire
le droit de reproduction en termes de «propriété
intellectuelle». Cette expression véhicule un postulat
sous-jacent: la façon la plus naturelle de concevoir le droit
de reproduction reposerait sur l'analogie avec les objects physiques,
que nous identifierions, tout aussi naturellement, avec la propriété.
Mais cette analogie néglige qu'il existe une
différence essentielle entre les objets matériels et l'information:
cette dernière peut être reproduite et partagée
presque sans effort, ce qui n'est pas le cas des objets matériels.
Fonder sa pensée sur cette analogie revient à montrer
que l'on ignore cette différence.
Même le système législatif des
États-Unis n'admet pas entièrement cette analogie, puisqu'il
ne traite pas les droits de reproduction de la même façon
que les droits de propriété sur les objets physiques.
Si vous ne voulez pas vous limiter à cette façon
de penser, il vaut mieux que vous évitiez d'employer l'expression
«propriété intellectuelle».
Un autre problème que pose la «propriété
intellectuelle» est qu'elle sert à amalgamer des régimes
juridiques distincts: le droit de reproduction, les brevets, les marques
déposées, toutes choses fort différentes. Si vous
n'êtes pas un expert de ces catégories juridiques et si
vous n'en maîtrisez pas les définitions, ne vous risquez
pas à les associer, ce qui vous mènerait certainement
à des généralisations incorrectes?
Pour éviter la confusion, le mieux est de ne
pas chercher à remplacer la «propriété intellectuelle»
par une expression alternative. Parlez plutôt, selon le cas, de
droit de reproduction, de brevets, ou de tout autre terme permettant
de désigner avec précision ce dont vous parlez.
PIRATAGE
Les éditeurs parlent souvent de la reproduction
non autorisée en termes de «piratage». Ils sous-entendent
par là que la reproduction illégale est équivalente,
sur le plan éthique, à l'attaque des navires en haute
mer et à l'enlèvement ou à l'assassinat de leurs
passagers.
- Si vous ne croyez pas que la reproduction illégale
ne fait qu'un avec les enlèvements et le meurtre, vous préférerez
certainement ne pas vous servir du terme «piratage» pour
la désigner.
Des termes neutres tels que «reproduction interdite»
ou «reproduction non autorisée» peuvent être
employés. Certains d'entre nous préfèrent employer
une expression positive, telle que «partage d'informations avec
son voisin».
PROTECTION
Les juristes employés par les éditeurs
aiment se servir du terme de «protection» pour décrire
le copyright. L'emploi de ce mot donne l'impression qu'il est question
d'empêcher une destruction ou une souffrance de se produire; il
encourage donc les gens à s'identifier avec le propriétaire
et l'éditeur qui tirent profit du droit de reproduction, plutôt
qu'avec les utilisateurs dont la liberté d'action est restreinte
par ce droit.
Pour éviter de parler de «protection»,
vous pouvez recourir à des termes neutres. Vous pourrez remplacer,
par exemple, la formule «la protection accordée par le
copyright s'étend sur une longue période», par celle-ci
: «le copyright s'étend sur une longue période».
Si vous voulez critiquer le droit de reproduction au
lieu de le soutenir, vous pouvez employer l'expression «restriction
du droit de reproduction».
VENTE DE LOGICIELS
Le terme «vente de logiciels» est ambigu.
Au sens strict, l'échange d'un exemplaire d'un programme libre
moyennant une somme d'argent constitue une «vente» ; mais
les gens associent habituellement le terme de «vente» aux
restrictions auxquelles le propriétaire soumet l'utilisation
qui sera faite du logiciel. Vous pouvez être plus précis
et prévenir toute confusion en employant, pour distinguer les
deux sens de l'expression «vente de logiciels», l'une des
deux expressions suivantes: «distribution d'exemplaires d'un programme
moyennant facturation» ; «imposition de restrictions d'utilisation
d'un programme».
Voir Selling free software (Vente de logiciels libres)
pour plus d'informations sur ce point.
VOL
Les apologistes du droit de reproduction emploient
souvent les expressions «détournement de propriété»
et «vol» pour décrire le non-respect du copyright.
Ils nous demandent, par là-même, de considérer le
système législatif comme une autorité en matière
d'éthique: si la reproduction est interdite, c'est qu'elle est
moralement répréhensible.
Il n'est donc pas inutile de rappeler que le système
législatif - tout au moins en ce qui concerne les États-Unis
- rejette l'identification du non-respect du copyright avec le «vol».
Les avocats du droit de reproduction qui emploient des termes tels que
le «vol» donnent une idée fausse de l'autorité
dont ils se réclament.
D'une manière générale, l'idée selon laquelle
les lois décident de ce qui est moralement bon ou mauvais est
erronée. Les lois sont, au mieux, une tentative d'accomplir la
justice; dire que les lois définissent la justice ou le comportement
éthique, c'est mettre les choses à l'envers.