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Original sur le site du journal Le Monde

Tascataxe, un Cheval de Troie ?

une tribune d'Olivier Blondeau
jeudi 18 janvier 2001

L'idée d'imposer une taxe sur les ordinateurs et l'ensemble des supports numériques annoncé lundi dernier par Mme la ministre de la culture, constitue une colossale maladresse stratégique, bien vite rectifiée par un gouvernement qui nous avait habitué, dans le domaine de l'Internet, à plus de dialogue et de concertation.

Mais cette affaire, ayant crée une véritable onde de choc dans le milieu de l'informatique et du multimédia, ne s'arrêtera probablement pas là. Ce qui était hier tolérable - la taxe sur les supports amovibles et en particuliers les CD-R - devient explicitement aujourd'hui le symbole d'une volonté de criminaliser l'ensemble des utilisateurs d'ordinateurs au nom d'une prétendue « nécessité d'établir un juste retour en rémunération des ayant-droit ». Taxe-t-on un acheteur de baskets pour indemniser certains commerçants victimes de vol à la tire ? Suivant cette logique implacable, tout laisse à penser que l'on va bientôt en revenir à l'impôt sur le papier et l'obligation de timbrage, cause de révolutions en d'autres temps ?

Ridicule, à moins que ce qui se joue aujourd'hui de manière plus insidieuse soit un retour du privilège féodal d'édition, naguère régulé par l'Etat et le marché. La volonté affichée de lutter contre le piratage, phénomène extrêmement marginal, n'est en fait qu'un prétexte, un Cheval de Troie, visant à rassurer les milieux de l'édition. Le numérique et les réseaux télématiques permettent en effet à de nombreux créateurs de créer, enregistrer, produire et distribuer leurs oeuvres sans être dépendants des grandes maisons d'édition. Ces pratiques d'auto-production, que le ministère de la culture s'acharne d'ailleurs à qualifier dans certains de ses textes officiels de « pratiques amateurs », risque à terme de déstabiliser durablement ces véritables rentes de situation que constituent les monopoles d'éditions. Aujourd'hui déjà de nombreux labels musicaux alternatifs réapparaissent à la faveur du développement du numérique. Loin de compromettre le statut de l'auteur et du créateur, l'émergence des nouvelles technologie de l'information et de la communication peut enfin lui donner un rôle d'interlocuteur dans la négociation de ses droits avec son éditeur.

En proposant cette taxe, Mme Tasca ne faisait pas, loin s'en faut, preuve d'une méconnaissance des usages en cours dans le monde de l'informatique. Ses conseillers, unanimement respectés et écoutés, sont parmi les plus avertis des conseillers d'Etat sur les questions liées à Internet. Cette déclaration constitue avant toute chose un signe politique fort de soutien à l'adresse du monde de l'édition.

Doit-on capituler aussi facilement devant ces lobbies qui tentent d'imposer une logique de pénurie dans une économie de l'abondance ? Ne devrait-on pas aujourd'hui renverser la perspective pour en revenir à une conception moins mercantile de la culture ? Nombreux sont ceux qui aujourd'hui se déclarent favorables à une taxe pour soutenir la recherche et la création sur Internet. Considérant que le commerce utilise des ressources créés par des dizaines de milliers de contributeur anonymes, pourquoi Madame Tasca, qui semble apprécier les taxes, ne proposerait-elle pas une taxe sur le commerce électronique visant à promouvoir et à développer un Internet libre et solidaire ?

Olivier Blondeau, sociologue
oblondeau@wanadoo.fr

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