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Logiciels Libres : une volonté de transparence.

FIIFO - Mémoire de Synthèse - Avril 99

Auteur : Nicolas Leclercq


Table des Matières

Compliments et flatteries

À propos de ce document

Introduction

Première approche

Les logiciels propriétaires

Le Freeware

Le Shareware

Les logiciels Open Source

Le domaine public

Du Freeware à l'Open Source

Une brève histoire du logiciel libre

Vers une nouvelle définition

L'Open Source 1.0

Les idées reçues

Un logiciel libre est forcément gratuit

Linux est synonyme de logiciels libres

Il faut être Open Source pour tourner sur GNU/Linux

La croisade de saint Linux

Unix : une technologie obsolète

GNU/Linux : un OS pour PC

Les OSS : des outils de spécialistes

Les vertus du modèle de développement coopératif

Eclosion d'un projet libre

Logiciels libres et génie logiciel

Des utilisateurs actifs

Réactivité de la communauté

Sécurité des systèmes

Pérennité des logiciels

Les standards ouverts

Harmonisation de l'offre

La garantie

Le support

Du rôle des OSS

Conclusion

Notes

Bibliographie

 


Compliments et flatteries

La rédaction de ce mémoire m'offre l'occasion de remercier M. Pierre Boulan qui, en fervent défenseur de l'esprit Open Source, assure la promotion des logiciels libres auprès des étudiants de la FIIFO. Sa connaissance des réseaux et de GNU/Linux nous ont souvent engagés dans des discussions qui furent pour moi riches d'enseignement.

Note : Le caractère élogieux de mes propos ne doit pas être interprété à tort. Le fait que M. Boulan appartienne au jury qui sera amené à juger ce travail n'est que pure coïncidence.

Je tiens également à remercier Mme Brigitte Gaget du Commissariat à l'Énergie Atomique (CEA) pour avoir accepté de superviser l'ensemble de ce travail. Je souhaite sincèrement que cette collaboration puisse se poursuivre dans l'avenir.

Note : Brigitte Gaget sera amenée à rapporter l'excellence de mon travail auprès de mes professeurs.

J'aimerais exprimer ma reconnaissance et mon affection à mes collègues et amis Paul Morin, Marc Simon et Catalin Miron. Le soutien permanent et la confiance dont ils ont fait preuve alors que j'étais technicien dans leur équipe de recherche au Laboratoire pour l'Utilisation du Rayonnement Électromagnétique (LURE-Orsay), m'ont conduit à suivre cette formation d'ingénieur.

Note : Je n'ose même pas imaginer la tête de mes trois comparses s'ils ne s'étaient pas retrouvés dans mes remerciements. Dois-je réellement les remercier pour ces nuits de labeur ?

Mes remerciements vont également à l'ensemble des contributeurs bénévoles du logiciel libre. Les Stallman, Raymond, Torvalds, et autres anonymes de la communauté de l'Internet. Je n'oublierai pas MM. Fermigier, Smets, Lang, Blondeel et à travers eux l'ensemble de nos auteurs et traducteurs francophones. Qu'ils soient tous remerciés pour la qualité de leur travail — dont j'espère avoir respecté l'esprit.

Note : Je tente ici de modérer leur mécontentement lorsqu'ils découvriront à la lecture de ce document (si j'ai l'honneur d'être lu) que je me suis approprié leurs idées respectives. Cette dernière remarque n'a en fait d'autre ambition que celle de susciter leur curiosité.

Enfin, j'ai une pensée toute particulière pour ma femme Clarisse. Tout au long cette période de formation sa patience fut exemplaire devant mon absence et les heures passées devant ma machine (les développeurs savent de quoi je parle). Son soutien affectif fut pour moi une source de motivation. Qu'elle soit à jamais convaincue de toute ma tendresse.

Note : Là je suis sincère. Je n'ai pas le choix !


À propos de ce document

Ce document constitue la partie mémoire de synthèse d'un travail réalisé dans le cadre d'un projet de fin d'études pour la Formation d'Ingénieurs en Informatique de la Faculté d'Orsay (FIIFO). Les aspects techniques du projet — qui n'ont pas de rapport avec le sujet de synthèse — étant traités par ailleurs (dans le mémoire industriel).

Ce mémoire propose une introduction au concept de logiciel libre. Il souligne l'intérêt d'assurer aux utilisateurs une transparence totale sur le contenu des programmes qu'ils exploitent et tente de sensibiliser le lecteur aux implications de cette volonté d'ouverture.

Le logiciel libre est traité dans ses aspects les plus pratiques. Les considérations d'ordre économique et juridique sont volontairement réduites à l'essentiel. La bibliographie proposée contient quelques références sur ces sujets.

La lecture de ce mémoire procurera certainement une impression de "déjà vu" aux initiés. Les plus sceptiques y verront un plaidoyer de plus en faveur de l'Open Source. Le novice y trouvera de quoi se forger une première opinion.


Introduction

Encore victime il y a peu de son image d'idéaliste, l'esprit Open Source gagne en crédibilité. Le succès rencontré par le système d'exploitation libre GNU/Linux et l'arrivée récente des grands éditeurs dans la sphère du logiciel libre, renforcent le climat de confiance qui règne sur les OSS (Open Source Software).

Après avoir fait ses preuves sur les serveurs de l'Internet, le logiciel libre dispose aujourd'hui d'une offre propre à concurrencer les solutions propriétaires sur les postes clients. Son ambition : devenir une plateforme de production pour les entreprises et faire fonctionner les ordinateurs domestiques. Sa motivation : la transparence, quintessence de l'esprit libre.

Dans la pratique, cette transparence s'exprime notamment par un accès libre au code source des programmes. Pour les évangélistes du logiciel libre, cet effort d'ouverture est le garant du respect des libertés individuelles et collectives et de la sécurité des échanges à l'heure ou l'Internet devient le support des activités humaines.

Cette démarche va ainsi à l'encontre de celle adoptée par les solutions propriétaires, dont le caractère "boîte noire" défend les intérêts commerciaux de leur éditeur. Elle bouleverse les fondements d'une industrie ancrée dans l'exploitation de technologies brevetées et viscéralement attachée à la notion de Copyright. Inconciliables à première vue, les approches propriétaire et libre ne sont pourtant pas mutuellement exclusives. L'existence d'une offre Open Source ne remet pas en cause celle de l'offre propriétaire.

Les récents efforts de cohabitation nous mènent vers une coexistence des deux mondes dans le respect des intérêts commerciaux des uns et le souci de transparence des autres. Dans la pratique, on constate l'abandon du terme Free Software pour celui d'Open Source. Bien plus qu'un simple changement d'identité, ce nouveau baptême modère le discours dogmatique des débuts et satisfait l'attente des industriels en offrant une voie d'intégration des OSS aux lois du marché. Sage décision pour les uns, hérésie pour les autres, cette concession faite à l'industrie du logiciel alimente les forums de discussion de l'Internet.

Mais la seule crédibilité technique ne suffirait pas à déployer le logiciel libre à grande échelle. Il lui faut vaincre le sentiment de défiance des utilisateurs à l'égard des produits échappant aux standards commerciaux. La suspicion naît également du fait que les logiciels libres sont issus du monde virtuel de l'Internet. Le soutien de géants comme IBM, Intel ou Netscape, apporte du crédit, rassure la profession comme l'utilisateur. Le seuil de crédibilité est atteint. Pour reprendre une expression à la mode : le logiciel libre est une tendance lourde.

Pour le néophyte, le monde des OSS peut paraître quelque peu déstabilisant. D'abord parce qu'il rompt brutalement avec l'ordre établi. Conditionnés et fermement attachés au modèle économique traditionnel, nous avons souvent de la peine à imaginer une solution de remplacement à l'économie de marché. Le logiciel libre nous en propose une ! Rien de moins. Ensuite nous vient le doute face à une activité jugée trop idéalement philanthropique. Le logiciel libre n'est pas une activité de bienfaisance. L'abnégation et l'altruisme ne sont pas les sources de motivation premières des développeurs de logiciels libres. Ces derniers servent avant tout leurs propres intérêts, satisfont à la fois leur besoin et leur ego. Le miracle du logiciel libre s'accomplit lorsque cet intérêt devient commun.


Première approche

L'avènement des supports de distributions bon marché — comme l'Internet et le CD-ROM — ont favorisé l'apparition de logiciels alternatifs. Selon le niveau de contribution demandé à l'utilisateur (gratuité), la disponibilité du code source (transparence) ou encore l'importance accordée à la notion de propriété (droits d'auteur), ces logiciels sont qualifiés de Public, Open Source, Freeware, Shareware ou encore Propriétaires. C'est la nature de la licence associée au logiciel qui détermine l'appartenance à l'une de ces familles de produits. Elle fixe le cadre juridique qui régit la distribution et l'utilisation du logiciel. Le concept de logiciel libre est ainsi rattaché à l'ensemble des logiciels couverts par un type de licence particulier : les licences Open Source.

Note : En première approximation, nous considérerons que les termes Free Software, Open Source, et OSS (Open Source Software) sont des synonymes de logiciels libres. Nous découvrirons plus loin ce qui distingue le Free Software de l'Open Source.

Les logiciels propriétaires

Tout logiciel distribué sous forme d'exécutable binaire pour lequel il n'existe aucun moyen d'accès légal au code source est un logiciel propriétaire. Pour défendre ses intérêts, son éditeur veille à ce que le produit constitue une boîte noire pour ses utilisateurs.

Le Freeware

Souvent développés à titre de hobby par un développeur unique, ces logiciels sont (comme leur nom l'indique) gratuits. Il n'y a ici aucune ambiguïté. Le terme free peut être effectivement associé à la notion de gratuité. La disponibilité du code source est par contre laissée à la discrétion du développeur, qui demeure propriétaire de son œuvre (notion de copyright). Dans la pratique, on constate que le code source d'un freeware est rarement disponible.

Le Shareware

Le concept de shareware est très similaire à celui de freeware. Il s'en différencie uniquement par le niveau de contribution demandé à l'utilisateur. Un shareware n'est pas gratuit mais son prix reste toutefois modeste (quelques dollars US). Il existe de nombreux dérivés de l'approche shareware, comme le Postware — où l'auteur vous demandera pour seule rétribution de lui envoyer une carte postale ! Là aussi, le code source est rarement disponible.

Freewares et sharewares sont donc souvent des logiciels à caractère propriétaire. Leur domaine d'application reste principalement axé sur les accessoires de bureau. Le monde du Macintosh comme celui de MS-Windows en proposent de nombreux. L'offre logicielle de BeOS est (pour le moment) majoritairement constituée de ce type de logiciels. Il est d'ailleurs notable que shareware et freeware sont des modes de distribution principalement retenus par les développeurs utilisant des systèmes d'exploitation propriétaires.

Ces deux familles de logiciels ne sont pas directement liées à la notion de licence — au sens où nous l'entendons lorsque l'on parle de logiciels libres. L'appartenance à l'une de ces familles renseigne avant tout sur la gratuité du produit. La licence qui s'y rattache est propre au logiciel et se réduit le plus souvent à quelques lignes rédigées par l'auteur indiquant les restrictions qu'il souhaite imposer à la distribution comme à l'utilisation du produit. Il règne un flou juridique sur ce domaine.

Les logiciels Open Source

Comme nous le laissions entendre en introduction, cette catégorie de logiciels fut initialement baptisée Free Software, le terme free étant cette fois associé à la notion de liberté (et non de gratuité). L'ambiguïté contenue dans ce terme pouvait laisser supposer qu'un logiciel de type Free Software est forcément gratuit. Or il n'en est rien. L'adoption du terme Open Source tente (entre autres) de résoudre ce problème de libre interprétation. Il se veut le vecteur des notions de transparence et d'ouverture chères au monde des logiciels libres.

La licence qui accompagne un logiciel libre est permissive. L'auteur y concède de nombreux droits à ses utilisateurs au nom de l'intérêt commun. L'utilisateur se voit autorisé à modifier le code du programme, à le distribuer librement et. même à vivre de cette activité !

L'objet juridique d'une licence Open Source est de garantir à l'utilisateur un accès libre et permanent au code source et de lutter contre toute appropriation abusive du logiciel. Il devient ainsi illégal de construire une solution 100 % propriétaire à partir de logiciels libres. La licence Open Source garantit que ce qui est "libre" le demeurera à jamais. La distribution d'un logiciel sous les termes d'une licence Open Source est donc irréversible.

Les licences Open Source ne sont pas elles-mêmes couvertes par leurs propres termes. Le contraire permettrait à chacun de modifier les règles du jeu en fonction de son humeur. C'est ce qui en fait l'intérêt juridique.

C'est sur la notion de transparence que repose tout l'apport des licences Open Source. Richard Stallman — grand évangéliste du logiciel libre — a d'ailleurs introduit (non sans humour) la notion de Copyleft à cette occasion. Sur le principe du droit d'auteur Copyright et Copyleft défendent tous deux les intérêts de leur détenteur. L'un défend farouchement la propriété, l'autre prévient l'appropriation abusive.

Jean-Paul Smets et Benoît Faucon ont dédié un chapitre entier de leur ouvrage à l'analyse du cadre juridique des licences Open Source. Chose notable, ce chapitre est édité sous les termes d'une licence Open Content — qui est aux écrits ce que l'Open Source est aux logiciels. Je renvoie donc le lecteur à ce texte [1]. Les allusions au droit qui sont faites par ailleurs dans ce document devraient satisfaire les moins demandeurs.

Le domaine public

Dans le domaine public la notion de propriété disparaît. Le logiciel n'appartient à personne. Il appartient donc à tout le monde ! Donc tout y est permis — même de construire une offre 100 % propriétaire sur la base d'un code issu du domaine public.


Du Freeware à l'Open Source

Isolé dans son monde virtuel, le logiciel libre n'avait pas encore été directement confronté aux réalités du marché. Ses nouvelles ambitions l'y amènent. Avec l'abandon du concept de Free Software pour celui d'Open Source, le logiciel libre réoriente son discours pour toucher l'ensemble des utilisateurs : le particulier comme l'entreprise.

Une brève histoire du logiciel libre

Le logiciel libre n'est récent que médiatiquement. Dans les faits, il remonte aux années 70, où l'informatique des "gros systèmes" — les mainframes — connaissait ses heures de gloire dans le monde universitaire. Les logiciels transitaient alors librement de labo en labo au gré des échanges entre équipes de recherche.

La transparence est de mise dans un monde où la validation des travaux passe d'une manière ou d'une autre par un examen critique mené par ses pairs. Le logiciel libre hérite ainsi de cette volonté de transparence. La disponibilité du code source — caractéristique des distributions libres — est la conséquence naturelle de cet esprit d'ouverture.

Le célèbre MIT (Massachusetts Institute of Technology — Boston USA) et plus particulièrement son laboratoire d'intelligence artificielle, fut le repère des fondateurs de ce qui deviendra le Free Software. Richard Stallman — qui appartenait à ce laboratoire — est universellement reconnu comme le père spirituel du logiciel libre. Il est notamment à l'initiative du projet GNU (GNU is Not Unix - prononcé "gnou", comme l'antilope d'Afrique à barbichette).

Le projet GNU avait pour ambition d'enrichir la famille des Unix d'une version libre. Dans un premier temps, Stallman et les développeurs de la FSF (Free Software Fondation) produisirent le compilateur gcc et le débogueur gdb — outils multi-plates-formes toujours très largement utilisés. La bibliothèque glibc apparaît également au palmarès du projet GNU. À la fois pour des raisons techniques et de licence — principalement liées au choix du micro-noyau Mach de l'université Carnegie-Mellon comme couche de base — la sortie du noyau Hurd du GNU (cœur du système d'exploitation) se trouva retardée. Au début des années 90, le système GNU se voyait ainsi privé de noyau. L'arrivée en 1991 du noyau Linux de Linus Torvalds — LINUs à fait son uniX — fut une aubaine pour le projet GNU. D'un côté on disposait d'un noyau dont l'auteur était prêt à rejoindre le mouvement du logiciel libre, de l'autre tous les logiciels de base d'un système d'exploitation. Le système GNU/Linux était né. Hurd est aujourd'hui masqué par le succès du système GNU/Linux.

Auteur de la célèbre Licence Publique Générale la célèbre GPL [2], fondateur en 1984 de la FSF et initiateur du projet GNU, Stallman a définitivement marqué l'histoire du logiciel libre. Il appartient toujours au courant de pensée le plus radical du mouvement libre : celui des libertaires.

La Licence Publique Générale est rapidement devenue LA licence de référence. Pour les développeurs, elle constitue encore aujourd'hui un moyen simple et efficace de distribuer un logiciel libre. Elle propose toutefois une approche très radicale du concept de logiciel libre et ne pouvait satisfaire l'ensemble des besoins. D'autres licences libres ont donc vu le jour. Les licences BSD, NPL, X Consortium en sont des exemples.

Vers une nouvelle définition

Note : Dans ce qui suit nous attribuons la paternité de l'Open Source à Bruce Perens. Il s'agit là d'un simple raccourci. L'Open Source est en fait l'œuvre commune de Perens, d'Eric S. Raymond et des anonymes de l'Internet qui ont participé aux débats. Perens et Raymond ont notamment crée l'OSI (Open Source Initiative)  : organisation vouée à la promotion de l'Open Source et à son rapprochement avec le monde de l'entreprise.

Jusqu'à présent, le logiciel libre fut l'affaire des spécialistes, des hackers [3] qui disposaient d'un accès à l'Internet. Ces bitouilleurs de génie trouvaient dans le logiciel libre un moyen d'évoluer dans un monde parallèle ou leur talent pouvait s'exprimer librement. Ils se sont ainsi créé un univers régi par les préceptes de Richard Stallman et de sa GPL. L'ensemble des acteurs du "monde libre" s'accommodait alors fort bien de cette situation. Puis vint le jour où le logiciel libre, victime de son succès, passa les frontières de l'Internet. On constatait alors que l'approche de Stallman était quelque peu incompatible avec le "monde extérieur" et en particulier avec celui de l'entreprise.

Stallman et les défenseurs du Free Software considèrent que la conservation des droits d'auteur (par le biais du Copyleft) a pour seul objet de prévenir toute appropriation abusive du logiciel après ouverture de son code source à la communauté. Toute autre forme d'avantage — que l'auteur pourrait tenter de s'octroyer — est proscrite. La GPL reflète cette conception (extrêmement libertaire) du logiciel libre.

À la fois licence et manifeste, dogmatique et œuvre d'un seul homme, la GPL constituerait un obstacle au déploiement des logiciels libres dans l'entreprise.

Partant de cette constatation, Bruce Perens — ancien responsable de la distribution Debian GNU/Linux — a cherché à élargir le champ d'application des licences libres et permettre ainsi aux industriels d'approcher le monde des OSS. Il est le principal auteur d'une première proposition éditée sous le titre : définition de l'Open Source — version 1.0. Bien que non officiellement adopté, ce texte constitue un bon indicateur de l'évolution des mentalités.

Notons qu'il s'agit là d'un rapprochement avec l'ensemble de l'industrie, et pas uniquement avec celle du logiciel. Dans leur démarche, Perens et Raymond souhaitent avant tout modérer un discours propre à effrayer les hommes d'affaires et avec eux tous les utilisateurs potentiels de logiciels libres du monde de l'entreprise.

La communauté du logiciel libre semble ainsi se diriger vers une nouvelle définition générique de l'esprit qui l'anime. L'objet n'est pas de rédiger une licence universelle mais de définir les règles auxquelles devront se conformer les auteurs afin de bénéficier de la certification Open Source.

Dans sa définition, Perens prend effectivement quelques distances avec les préceptes de Stallman. Le discours y est moins radical et les exigences moins strictes. Dissidence ?

Les plus fervents défenseurs de l'esprit Free Software sont sur leurs gardes : le logiciel libre vend son âme au diable ! Stallman et Raymond se sont notamment engagés dans une discussion à couteaux tirés sur le sujet. Perens arbitrait les débats. Au sein du logiciel libre, les courants se dessinent : les Stallmaniens constituent la branche dure, les modérés se rallient à Perens et Raymond. Ces derniers semblent devoir l'emporter.

La définition de l'Open Source reprend pourtant bon nombre des idées de Stallman et Perens la considère comme une dérivation des travaux du "gourou". L'essentiel de ce qui fait la force du logiciel libre y est conservé : la transparence.

Moins intransigeante, elle permet à l'auteur "d'émettre quelques réserves" sur les modifications du code source et la distribution des versions modifiées du logiciel. Il est notamment possible de conserver l'usage exclusif du nom commercial de l'application (i.e. de ne pas autoriser la distribution d'une version modifiée du logiciel sous son nom commercial). Plus intolérable encore pour les adeptes de la GPL, est le droit que peut se réserver un éditeur d'intégrer dans son offre propriétaire les améliorations apportées par les développeurs de l'Internet — le code source correspondant à ces modifications restant disponible par ailleurs.

La licence NPL de Netscape [4] est un exemple de texte où l'éditeur conserve certains privilèges tout en restant conforme à l'Open Source. Netscape a ainsi choisi de mettre le code de son navigateur web à la disposition de la communauté sous l'appellation Mozilla. L'utilisation du terme Navigator ® demeurant l'exclusivité de l'éditeur. Il s'accorde également le droit d'intégrer toute amélioration du code dans son offre dédiée aux serveurs.

Un éditeur peut également exiger que les modifications soient distribuées sous forme de patchs qui pourront être appliqués à la version "officielle" du programme. Dans cette démarche, la préoccupation majeure est de préserver son image de marque. La société Troll Tech a choisi ce mode de distribution pour sa bibliothèque graphique Qt [5].

Pour conclure, considérons l'Open Source comme une simple adaptation du Free Software aux réalités économiques et sociales.

L'Open Source 1.0

Ce qui suit correspond à la version commentée (par l'auteur) de la définition de l'Open Source telle qu'elle apparaît dans la traduction française du livre "Open Source — Voices from the Open Source Revolution" [6]. Un chapitre est entièrement dédié à cette définition. La traduction des textes de Perens est l'œuvre de Sébastien Blondeel.

Définition de l'Open Source, version 1.0

Bruce Perens a écrit le premier brouillon de ce document sous le titre "The Debian Free Software Guidelines" (lignes de conduite pour le logiciel libre de la Debian), et l'a amélioré en utilisant les commentaires des développeurs Debian lors d'une conférence par courrier électronique qui a duré un mois, en juin 1997. Il a ôté du document les références propres à la Debian pour créer la "définition de l'Open Source".

L'Open Source implique plus que la simple diffusion du code source. La licence d'un programme Open Source doit correspondre aux critères suivants :

Vous remarquerez que la définition de l'Open Source n'est pas une licence de logiciel en soi. C'est une spécification de ce qu'on autorise aux licences de logiciels pour qu'elles méritent le nom d'Open Source. La définition de l'Open Source n'a pas pour vocation d'être un document juridique. Le fait qu'on la retrouve dans des licences de logiciels, comme la licence qui est proposée pour le Linux Documentation Project (projet de documentation pour Linux), m'a fait envisager d'en écrire une version plus rigoureuse, qui serait appropriée pour une telle utilisation.

Pour qu'un logiciel puisse être qualifié d'Open Source, il faut que toutes les conditions suivantes soient remplies, en même temps, et dans tous les cas. Il faut par exemple qu'elles s'appliquent aux versions dérivées d'un programme aussi bien qu'au programme original. Il ne suffit pas de n'en appliquer que quelques-unes et pas d'autres, et il ne suffit pas de ne les appliquer que dans certaines périodes. Comme j'ai dû ferrailler pour contrer des interprétations particulièrement naïves de la définition de l'Open Source, je serai tenté d'ajouter : cela vous concerne

1. Libre redistribution

La licence ne doit pas empêcher de vendre ou de donner le logiciel en tant que composant d'une distribution d'un ensemble contenant des programmes de diverses origines. La licence ne doit pas exiger que cette vente soit soumise à l'acquittement de droits d'auteur ou de royalties.

Cela signifie qu'on peut faire autant de copies du logiciel qu'on le souhaite, et les vendre ou les donner, sans devoir donner d'argent à qui que ce soit pour bénéficier de ce privilège.

La formule "composant d'une distribution d'un ensemble contenant des programmes de diverses origines" avait pour but de combler une lacune de la licence Artistic (artistique), dont personnellement je trouve qu'elle manque de rigueur, qui a été mise au point pour Perl, à l'origine. De nos jours, presque tous les programmes qui en font usage sont aussi proposés selon des conditions de la GPL. C'est pourquoi cette clause n'est plus nécessaire, et disparaîtra peut-être d'une prochaine version de la définition de l'Open Source.

2. Code source

Le programme doit inclure le code source, et la distribution sous forme de code source comme sous forme compilée doit être autorisée. Quand une forme d'un produit n'est pas distribuée avec le code source correspondant, il doit exister un moyen clairement indiqué de télécharger le code source, depuis l'Internet, sans frais supplémentaires. Le code source est la forme la plus adéquate pour qu'un programmeur modifie le programme. Il n'est pas autorisé de proposer un code source rendu difficile à comprendre. Il n'est pas autorisé de proposer des formes intermédiaires, comme ce qu'engendre un pré-processeur ou un traducteur automatique.

Le code source est un préliminaire nécessaire à la correction ou la modification d'un programme. L'intention est ici de faire en sorte que le code source soit distribué aux côtés de la version initiale et de tous les travaux qui en dériveront.

3. Travaux dérivés

La licence doit autoriser les modifications et les travaux dérivés, et leur distribution sous les mêmes conditions que celles qu'autorise la licence du programme original.

Le logiciel est de peu d'utilité à qui ne peut pas assurer son évolution (correction des bogues, ports vers des nouveaux systèmes, apport d'améliorations), et il est nécessaire pour cela de le modifier. L'intention est ici d'autoriser tous types de modifications. Il faut autoriser qu'un travail dérivé soit distribué sous les mêmes conditions de licence que le travail original. Cependant, on n'exige pas que le producteur d'un travail dérivé utilise les mêmes conditions de licence, on n'impose que de leur laisser la possibilité de ce faire. Les différentes licences traitent ce problème de manières diverses : la licence BSD vous autorise de privatiser vos modifications, alors que GPL vous l'interdit.

Certains auteurs de logiciels craignent que cette clause n'autorise des gens peu scrupuleux à modifier leur logiciel de sorte à mettre dans l'embarras l'auteur original du logiciel. Ils ont peur qu'un individu mal intentionné ne fasse réagir le logiciel de manière incorrecte en laissant croire que l'auteur original était un programmeur de piètre qualité. D'autres craignent que le logiciel ne soit modifié pour des utilisations criminelles, par l'addition de fonction jouant le rôle de cheval de Troie ou de techniques interdites dans certains pays ou régions, comme la cryptographie. Mais de telles actions tombent sous le coup des lois. On pense souvent à tort que les licences de logiciels devraient tout spécifier, y compris des détails comme "n'utilisez pas ce logiciel pour commettre un crime." Mais aucune licence n'a d'existence en dehors d'un corpus de lois civiles et pénales. Considérer qu'une licence peut s'affranchir du corpus des lois en vigueur est aussi idiot que considérer qu'un document rédigé en français puisse s'affranchir du dictionnaire, auquel cas aucun des mots utilisés n'aurait la moindre signification arrêtée.

4. Intégrité du code source de l'auteur

La licence ne peut restreindre la redistribution du code source sous forme modifiée que si elle autorise la distribution de fichiers "patch" aux côtés du code source dans le but de modifier le programme au moment de la construction.

Certains auteurs craignaient que d'autres ne distribuent le code source enrichi de modifications qui pourraient être perçues comme relevant du travail de l'auteur original, en donnant une mauvaise image de lui. Cette clause leur donne la possibilité d'imposer que les modifications soient bien distinctes de leur propre travail, sans pour autant interdire toute modification. Certaines personnes trouvent inesthétique le fait que les modifications encourent le risque de devoir être distribuées sous la forme d'un fichier de modifications (patch) distinct tu code source, alors même que des distributions de Linux comme Debian ou Red Hat font usage d'une telle procédure pour mettre en place les modifications qu'elles apportent aux programmes qu'elles distribuent. Il existe des programmes qui fondent directement les modifications au sein du code source principal, et on peut faire en sorte qu'ils soient exécutés automatiquement lors de l'extraction d'un paquetage de code source. C'est pourquoi une telle clause ne devrait causer que peu ou prou de difficultés.

Vous remarquerez aussi que cette clause stipule que dans le cas des fichiers de modifications, la modification n'a lieu qu'au moment de la construction. La licence publique de Qt exploite cette lacune pour imposer une licence différente, quoique plus permissive, en matière de fichiers de modifications, en contradiction avec la section 3 de la définition de l'Open Source. Il existe le projet de corriger cette lacune dans la définition sans pour autant faire perdre à la licence Qt son état de licence Open Source.

La licence doit explicitement permettre la distribution de logiciel construit à partir du code source modifié. La licence peut exiger que les travaux dérivés portent un nom différent ou un numéro de version distinct de ceux du logiciel original.

Cela signifie que la société Netscape, par exemple, peut insister sur le fait qu'elle seule a le droit de donner à une version du programme le nom de Netscape Navigator ®, alors que les versions libres du programme doivent porter un nom comme Mozilla ou autre chose encore.

5. Pas de discrimination entre les personnes ou les groupes

La licence ne doit opérer aucune discrimination à l'encontre de personnes ou de groupes de personnes.

Une licence proposée par les Régents de l'université de Californie, à Berkeley, interdisait qu'un programme de conception de circuits électroniques soit employé par les forces de police de l'Afrique du Sud. Ce sentiment avait beau être généreux du temps de l'apartheid, cette clause n'a plus grand sens de nos jours. Certaines personnes sont toujours coincées avec le logiciel qu'elles ont acquis sous cette condition, dont les versions dérivées doivent elles aussi porter la même restriction. Les licences Open Source ne doivent rien renfermer de tel, quelle que soit la générosité qui dicte de telles intentions.

6. Pas de discrimination entre les domaines d'application

La licence ne doit pas limiter la champ d'application du programme. Par exemple, elle ne doit pas interdire l'utilisation du programme pour faire des affaires ou dans le cadre de la recherche génétique.

Votre logiciel doit pouvoir être utilisé aussi bien par une clinique qui pratique des avortements que par une organisation militant contre le droit à l'avortement. Ces querelles politiques relèvent de l'Assemblée Nationale, et non pas des licences de logiciels. Certaines personnes sont même extrêmement choquées par cette absence de discrimination !

7. Distribution de la licence

Les droits attachés au programme doivent s'appliquer à tous ceux à qui le programme est redistribué sans que ces parties ne doivent remplir les conditions d'une licence supplémentaire.

La licence doit s'appliquer automatiquement, sans exiger une quelconque signature. Malheureusement, on ne dispose d'aucun précédent juridique solide en matière de validité d'une licence applicable sans signature, quand elle passe d'une seconde à une tierce personne. Cependant, cet argument considère que la licence fait partie du droit du contrat, alors que certains argumentent qu'elle relève du droit du copyright, où on trouve des cas de jurisprudence en matière de licences ne requérant pas de signature. Il y a fort à parier que ce débat aura lieu en cour de justice d'ici quelques années, si l'on en juge par l'emploi sans cesse croissant de ce type de licences et par l'essor fulgurant du mouvement de l'Open Source.

8. La licence ne doit pas être spécifique à un produit

Les droits attachés au programme ne doivent pas dépendre du fait que le programme fait partie d'une distribution logicielle spécifique. Si le programme est extrait de cette distribution et utilisé ou distribué selon les conditions de la licence du programme, toutes les parties auxquelles le programme est redistribué doivent bénéficier des droits accordés lorsque le programme est au sein de la distribution originale de logiciels.

Cela signifie que vous ne pouvez pas contraindre un produit identifié en tant qu'Open Source à être utilisé en tant que partie d'une distribution particulière de Linux, ou autre. Il doit rester libre, même séparé de la distribution logicielle avec laquelle il a été fourni.

9. La licence ne doit pas contaminer d'autres logiciels

La licence ne doit pas apposer de restrictions sur d'autres logiciels distribués avec le programme qu'elle couvre. Par exemple, la licence ne doit pas exiger que tous les programmes distribués grâce au même médium soient des logiciels " open-source ".

Une version de GhostScript (programme de rendu de PostScript) exige que le support sur lequel est distribué ce programme ne contienne que des logiciels libres. Les licences Open Source ne permettent pas cela. Heureusement, l'auteur du programme GhostScript distribue une autre version (un peu plus ancienne) de ce programme, couverte par une licence vraiment Open Source.

Remarquez la différence entre dérivation et agglomération. La dérivation est le fait qu'un programme renferme en son sein une portion d'un autre programme. L'agglomération est le fait de proposer deux programmes sur le même CD-ROM. Cette section de la définition de l'Open Source traite de l'agglomération, pas de la dérivation. C'est la section 4 qui traite de cette dernière.

10. Exemples de licences

Les licences suivantes sont des exemples de licences que nous considérons conformes à la définition de l'"Open Source" : GNU GPL, BSD, X Consortium, et Artistic. C'est aussi le cas de la MPL.

Bruce Perens a écrit le premier brouillon de ce document sous le titre " The Debian Free Software Guidelines " (lignes de conduite pour le logiciel libre de la Debian), et l'a amélioré en utilisant les commentaires des développeurs Debian lors d'une conférence par courrier électronique qui a duré un mois, en juin 1997. Il a ôté du document les références propres à la Debian pour créer la "définition de l'Open Source ".

Nous aurions beaucoup de problèmes si l'une de ces licences devait être modifiée et ne plus remplir les conditions de l'Open Source — il nous faudrait publier immédiatement une version révisée de la définition de l'Open Source. Ce paragraphe relève plus d'un texte d'explication que de la définition par elle-même.


Les idées reçues

Les quelques points suivants tentent de lever certaines ambiguïtés qui planent sur le logiciel libre.

Un logiciel libre est forcément gratuit

Un logiciel libre n'est forcément gratuit. Il l'est le plus souvent. Lorsqu'il ne l'est pas son prix reste toutefois modeste (par rapport à son équivalent propriétaire). Le logiciel libre tente ainsi de respecter l'un de ses principes fondamentaux : la performance au meilleur prix.

Mais le coût d'acquisition du produit n'est pas le seul paramètre à considérer dans l'adoption d'une solution à base de logiciels libres. Les coûts d'entrée (coût d'acquisition du produit) et d'exploitation (maintenance du parc et éventuel renouvellement des licences) sont en règle générale bien inférieurs à ceux des solutions propriétaires. En revanche, le coût de sortie (coût de migration d'une solution propriétaire vers une solution libre) peut se révéler non négligeable.

Il n'est pas rare qu'une entreprise, dont le système informatique repose entièrement sur une offre propriétaire, ait engagé des sommes importantes dans la personnalisationdu produit : le développement d'applications maison. Le coût de portage de ces applications (vers une plate-forme Open Source) peut s'avérer rédhibitoire. Il appartient donc à chacun de l'évaluer.

Sur le plan budgétaire, les avantages que procure l'utilisation des logiciels libres produiront leurs effets à moyen terme. Sur le plan technique, l'effet est souvent instantané.

Linux est synonyme de logiciels libres

Les articles de presse qui se font l'écho du succès de Linux ont souvent tendance à nous laisser croire que le monde des OSS s'est développé autour de ce noyau libre. En fait, les logiciels libres sont bien antérieurs au développement de Linux et ont très largement participé à son succès. Linux "n'est que" le fleuron, la vitrine du logiciel libre.

De l'aveu même de Linus Torvalds, la présence de Linux sur les futurs processeurs — notamment le Merced 64bits — dépend fortement de la disponibilité d'un compilateur gcccapable d'en engendrer le langage d'assemblage. Richard Stallman et son projet GNU ont généré bien d'autres pièces maîtresses du système d'exploitation. Afin de leur rendre hommage, on utilise couramment l'expression GNU/Linux pour désigner cet Unix libre.

Les OSS — et Linux en particulier — doivent également leur succès à des projets libres tels que le serveur web Apache, le serveur de fichiers et d'impression Samba ou encore le serveur de courrier électronique Sendmail.

GNU/Linux n'est pas le seul système d'exploitation de la famille des OSS. Les systèmes FreeBSD, OpenBSD et NetBSD, descendants Open Source du BSD4.4 de l'université de Berkeley, sont également de dignes représentants du "monde libre". Si ces systèmes rencontrent un succès moins spectaculaire que celui de Linux, cela tient avant tout de leur maturité plus tardive et ne traduit nullement un quelconque défaut de performances. Certains utilisateurs pensent d'ailleurs que les BSD supplantent GNU/Linux sur la plateforme serveur. Pour l'administrateur système cela reste une affaire de goût et de bagage technique (expérience des BSD commerciaux).

Il faut être Open Source pour tourner sur GNU/Linux

Pour tourner sous Linux, mieux vaut être POSIX(*) qu'Open Source. Des logiciels propriétaires peuvent parfaitement s'installer et fonctionner sous Linux. Linux ne détecte pas les processus propriétaires !

(*) POSIX est une norme qui vise à assurer la portabilité des applications Unix sur les différentes versions du système. GNU/Linux respect cette norme. Toute application POSIX peut donc facilement être portée sur GNU/Linux.

La croisade de saint Linux

Le monde des OSS est souvent présenté comme le dernier rempart contre les forces du mal incarnées par la société Microsoft. S'il est vrai que l'idée de déstabiliser l'éditeur de MS-Windows pouvait initialement constituer une source de motivation pour les développeurs de l'ombre [7], ce sentiment semble aujourd'hui s'estomper. La publication sur l'Internet des documents Halloween [8] (où Microsoft expose ses craintes face à Linux) a procuré une sensation de victoire aux esprits guerriers — sensation renforcée depuis par les déboires judiciaires de la firme de Redmond.

À travers Microsoft, c'est l'opacité des solutions propriétaires qui est visée.

Unix : une technologie obsolète

La tendance actuelle semble prouver le contraire.

Les systèmes d'exploitation les plus récents sont tous construits autour d'une approche Unix, plus ou moins masquée derrière une "interface maison". C'est le cas d'Open Step ®, de NeXt, de BeOS ®, Be Inc. ou encore du MacOS X ® d'Apple.

Depuis l'origine, Unix est multi-utilisateurs, multi-tâches et surtout sécurisé. Il a joué (et joue encore) un rôle essentiel dans le développement des protocoles réseau. Les fonctionnalités qu'il propose en matière d'accès distant facilitent également l'administration des postes clients.

GNU/Linux : un OS pour PC

Initialement, le noyau Linux fut effectivement développé pour l'Intel 386. Linux fonctionne désormais sur tout type de machine : du PalmPilot à la Station Alpha. Des versions Alpha, PowerPC, 68000 et Sparc sont aujourd'hui disponibles, ce qui fait dire à son géniteur, Linus Torvalds, que GNU/Linux, plus encore que Java, est une réelle approche : Write once, Run anywhere. Le multi-plates-formes par excellence.

Les OSS : des outils de spécialistes

L'ambition que s'est fixée la communauté les développeurs de l'Internet est de proposer une solution alternative à l'offre propriétaire couvrant l'ensemble des besoins courants. Il leur fallait donc dans un premier temps s'attaquer aux fondations et développer les couches basses de leur architecture. Les premiers efforts de développements se sont donc focalisés sur le système d'exploitation et les outils de communication. Le souci majeur était d'obtenir un ensemble cohérent, stable et performant. L'ergonomie était une préoccupation de deuxième ordre.

Ce que l'on peut considérer comme la première phase de développement du logiciel libre a ainsi livré des programmes répondant à des exigences purement techniques. Leur manipulation reste encore délicate pour l'utilisateur moyen. Ceci explique pourquoi les logiciels libres sont, pour le moment, principalement exploités sur les serveurs de l'Internet, là où ils sont mis en œuvre par des spécialistes.

Les développeurs peuvent désormais abstraire la difficulté que représente l'utilisation et la configuration d'un système Unix pour le non-spécialiste — seule voie possible vers un déploiement à grande échelle des OSS. Les premières versions des projets concernés — comme celles des environnements graphiques KDE ou GNOME — démontrent les progrès réalisés dans ce domaine.

Toutefois, et de l'avis même de la communauté, l'offre GNU/Linux n'a pas atteint le niveau d'ergonomie qui lui permettrait d'être installé sur l'ordinateur de monsieur Tout-le-monde. Les projets actuels qui visent à simplifier l'installation et surtout la configuration du système n'ont pas la maturité requise pour cela.

Pour une utilisation professionnelle, l'installation d'un OS libre sur les postes clients dépend avant tout du profil des utilisateurs. Ce qui est possible dans un laboratoire de recherche — où les utilisateurs ont le sens du système D — ne l'est peut-être pas dans une PME.

Bien qu'il avance à grand pas, le logiciel libre doit encore progresser en matière d'assistance à ses utilisateurs.


Les vertus du modèle de développement coopératif

Les logiciels libres sont élaborés selon un modèle de développement coopératif (ou communautaire) dont l'Internet constitue le support. En compressant à la fois l'espace et le temps le réseau des réseaux constitue le vecteur idéal dans l'échange d'information à l'échelle de la planète. L'Amérique se retrouve à un clic de souris de l'Europe et les serveurs présentent l'avantage de ne pas s'arrêter pas à la tombée du jour. L'Internet a ainsi joué un rôle déterminant dans le succès des OSS.

Il est à première vue difficile d'imaginer qu'un modèle basé sur l'utilisation du réseau comme moyen de communication entre développeurs puisse produire des logiciels de la qualité de GNU/Linux. Eric S. Raymond — autre grande figure du logiciel libre — a longuement décrit ce mode de développement dans son article intitulé "La cathédrale et le bazar"[9]. La cathédrale y apparaît comme une métaphore des grandes entreprises, où le développement des programmes est régi par les règles strictes du génie logiciel et du secret de fabrication. L'auteur l'oppose au bazar, illustrant ainsi l'apparent désordre qui règne sur l'Internet — support du modèle de développement communautaire. Cet article nous conte le succès du projet fetchmail, qui de l'aveu de son auteur fut initié afin de "tester certaines théories surprenantes du génie logiciel suggérées par l'histoire de Linux". Il semble donc que le développement du noyau Linux soit à l'origine du modèle coopératif.

Éclosion d'un projet libre

Nous avons précédemment fait allusion au fait que le développement de logiciels libres n'est pas une activité philanthropique. Tout projet libre viable est initié sur la base d'un besoin réel qu'a son créateur. "Tout bon logiciel commence par gratter un développeur là où ça le démange" [9]. Les appels à collaboration qui visent à créer une équipe de développement autour d'une simple idée aboutissent rarement. Le développeur doit initialement fournir que quoi susciter l'intérêt du reste de la communauté. Il se positionnera alors naturellement en responsable de projet — assurant à la fois le (co-)développement et les activités périphériques.

Logiciels libres et génie logiciel

L'Académie du génie logiciel nous enseigne que le développement d'un programme complexe s'effectue selon un cycle parfaitement défini et maîtrisé — le processus étant supervisé dans le respect des préceptes de l'assurance qualité. Les théoriciens de la gestion de projet et du génie logiciel ont doté les équipes de développeurs d'outils sophistiqués dédiés au calcul des charges et des délais, à la planification des tâches ou à la validation du code source. Ils soulignent l'importance des documents associés à chaque phase du développement et insistent sur la notion de traçabilité. Que deviennent ces préceptes dans l'univers des OSS ?

Considéré comme un Art, le codage constitue programmation. ConsidéréE comme ... --> l'essentiel de l'activité du développeur de logiciels libres. Le hacker est un être sensible aux charmes de la technologie et à l'esthétique des implémentations. Le code est l'expression des compétences et de la personnalité du développeur passionné. C'est à travers lui qu'il obtient la reconnaissance des ses pairs, qu'il "se fait un nom" sur l'Internet. Loin d'être négligeable, cette quête d'identité constitue une réelle source de motivation chez les développeurs et explique en partie pourquoi ces bénévoles sont prêts à mettre leurs compétences au service de la communauté.

Dans l'élaboration d'un logiciel libre, les phases amont du cycle de développement — conception préliminaire et détaillée — se réduisent souvent au strict minimum et ne sont que rarement documentées. L'accent est mis sur l'implémentation et l'architecture se dessine au fil des versions du logiciel. Dans l'univers du logiciel libre, on n'hésite pas à réécrire tout ou partie d'un code source jugé inadéquat. Au final, ce processus itératif — bien que pénalisant pour ce qui est des délais — génère un codé épuré, performant et stable.

Les distributions libres contiennent principalement le code source des programmes et les indispensables fichiers README qui les rendent exploitables. Seuls les programmeurs qui appartiennent au cercle restreint de l'équipe de développement ont directement accès aux détails de conception. Toutefois, la transparence est telle qu'il est possible de les obtenir sur simple demande.

Si l'approche académique — adoptée par les cathédrales — est la seule voie possible vers la qualité, comment expliquer le niveau de stabilité général des OSS ? Le bazar suivrait-il les lois de la physique en démontrant qu'il existe un ordre dans le chaos ? Si on se réfère aux propos des utilisateurs de logiciels libres, il semble que ce soit le cas. La démarche des développeurs de l'Internet rompt une fois de plus avec l'ordre établi et les détracteurs de l'Open Source trouvent ici de quoi alimenter leur scepticisme.

Des utilisateurs actifs

Les utilisateurs jouent un rôle déterminant dans le processus de développement des OSS. L'exploitation dynamique d'une application, qui consiste à proposer de nouvelles fonctionnalités ou à identifier les bogues, constitue une forme de contribution non négligeable à l'élaboration des programmes. On parle d'utilisateurs actifs [10]. La rédaction de documentation est une autre voie de contribution couramment empruntée. Dans le registre des relations avec les utilisateurs, Eric S. Raymond prodigue aux développeurs les conseils suivants [9] :

Réactivité de la communauté

L'ouverture du code confère un privilège aux utilisateurs de logiciels libres : celui de bénéficier plus rapidement que quiconque des mises à jour corrigeant les bugs résiduels et les éventuelles failles de sécurité.

La découverte de la faille de sécurité réseau TearDrop fut l'occasion d'évaluer le temps de réponse de la communauté de l'Internet. Ce défaut affectait la couche IP des systèmes MS-Windows (95 et NT) et la famille des Unix — dont Linux. Les utilisateurs de GNU/Linux et des autres OS libres ont obtenu le patch correctif dans les jours qui suivirent la découverte du bug.

La réactivité du modèle de développement coopératif est bien supérieure à celle du modèle propriétaire.

Sécurité des systèmes

L'exemple précédent illustre un autre intérêt de modèle coopératif : la sécurité. Le contrôle du contenu des logiciels à l'échelle planétaire prévient toute introduction volontaire d'un code dont la fonction serait de créer un accès clandestin aux systèmes. La communauté veille !

Avec le développement de l'Internet, la sécurité des réseaux devient un enjeu majeur. L'ouverture du code source des programmes assurant le transit de l'information apparaît alors comme une nécessité.

Pérennité des logiciels

Le monde des OSS dispose d'une gigantesque bibliothèque de code source d'excellente qualité. Fonctionnant en libre service, le code qu'elle contient est régulièrement réutilisé comme base de travail (ou comme didacticiel) et procure donc de solides fondations aux nouveaux projets. Selon Eric Raymond, "Les bons programmeurs savent quoi écrire. Les grands programmeurs savent quoi réécrire (et réutiliser)". Le logiciel libre s'est ainsi constitué un patrimoine inestimable qui, protégé par les licences de l'Open Source, restera dans la "famille". La licence Open Source est le garant de la pérennité du travail accompli. Ce qui est disponible aujourd'hui le sera demain.

Afin de respecter l'esprit du modèle coopératif, un développeur animé par le sentiment du devoir accompli (ou dont l'enthousiasme s'émousse) se doit de passer le relais. Un volontaire compétent, issu de la communauté des utilisateurs du logiciel devenu orphelin, se proposera alors de le maintenir. Et le miracle du logiciel libre s'accomplira de nouveau.

Force est de constater que rien ne garantit que les choses se passeront ainsi. Qu'adviendra-t-il de l'entreprise dont le système d'information repose sur un logiciel libre abandonné par ses développeurs et dont personne ne souhaite ou ne peut — faute des compétences nécessaires — assurer la maintenance ?

Certes !

Constatons. toutefois, qu'une solution propriétaire développée par une société ayant "pignon sur rue" n'offre pas davantage de garantie. Le devoir qu'a une entreprise de "suivre" ses produits n'est qu'un devoir moral. Il est rare qu'elle y soit juridiquement contrainte. Ses utilisateurs devront donc subir tout retournement de sa stratégie commerciale — avec comme conséquence possible : l'abandon du produit.

En terme de risques, l'utilisation rationnelle d'un logiciel libre n'expose pas davantage l'entreprise que l'adoption d'une solution propriétaire. Sur ce plan, logiciels libres et propriétaires sont comparables. Notons toutefois qu'en cas de rupture dans le suivi d'un produit, l'utilisateur de logiciel libre — disposant du code source — pourra envisager de maintenir le produit en interne ou de faire appel à une société de service.

Les standards ouverts

Soucieux d'assurer un maximum de transparence à ses utilisateurs, le logiciel libre se développe sur la base de standards ouverts — tels que TCP/IP ou CORBA. Les architectures logicielles érigées sur ces standards constituent une réelle approche modulaire des systèmes. On peut alors substituer à un composant obsolète un logiciel exploitant le même type d'interface, sans déstabiliser l'ensemble de l'architecture. Cette substitution peut alors s'effectuer indépendamment de l'origine respective des deux produits. L'utilisation des standards ouverts offre actuellement le plus haut niveau de compatibilité entre les différents produits du marché — qu'ils soient propriétaires ou libres.

À l'opposé, le choix d'une solution propriétaire contraint souvent l'utilisateur à construire l'ensemble de son système sur un standard dont le fournisseur est — par le jeu des brevets et des licences propriétaires — le seul à exploiter la technologie. La substitution opérée précédemment devient impossible en dehors de l'offre de ce même fournisseur. Le danger potentiel est de devoir mettre à jour la totalité des composants si l'éditeur propose désormais une solution incompatible avec la précédente.

Au delà des considérations techniques, cette approche place le client dans une situation de totale dépendance qui va à l'encontre des règles de libre concurrence. Afin de conserver une marge de manœuvre confortable il sera toujours préférable d'opter pour une solution compatible avec des standards ouverts.

Des projets libres concurrents exploitent ainsi des technologies communes. Partageant les mêmes interfaces, une éventuelle migration de l'un vers l'autre s'en trouve grandement facilitée. L'état d'esprit est tel que les développeurs iront parfois jusqu'à s'assurer de leur réelle compatibilité. C'est ainsi que les responsables des projets GNOME et KDE se sont entendus sur la manière d'exporter leurs objets. Une application KDE pourra alors accueillir et manipuler un objet issu d'une application GNOME et réciproquement. La rivalité peut alors s'exprimer sur le terrain des performances et des fonctionnalités offertes à l'utilisateur. Une concurrence saine et loyale, qui maintient la variété de l'offre.

Harmonisation de l'offre

Un des dangers potentiels de l'approche communautaire est de voir les projets diverger au détriment de la compatibilité — de ne pas maintenir la cohérence de l'ensemble.

Sous l'angle commercial, la notion de représentativité est associée à celle d'image de marque. "La RedHat" — une distribution américaine de GNU/Linux — a construit son succès commercial sur ce concept. RedHat a ainsi progressé en termes de représentativité de GNU/Linux. Ces derniers temps, la tendance est d'associer RedHat à GNU/Linux, comme GNU/Linux est associé à l'ensemble des OSS. La variété de l'offre participe au succès du logiciel libre et l'apparition d'une situation de monopole dans la distribution de Linux serait perçue comme un échec. Des divergences fortes entre distributeurs produiraient le même effet.

Un moyen de prévenir une telle situation est de s'assurer que les distributions de GNU/Linux sont 100 % compatibles entre elles. Le projet href="http://www.linuxbase.org/">Linux Standard Base [12] s'y attache. Les distributeurs de GNU/Linux (SuSE, Debian, Caldera, Mandrake.) devront faire un effort de standardisation — quitte à adopter "l'approche RedHat de Linux" comme configuration de référence. L'approche de RedHat doit d'ailleurs être conforme au Linux Standard Base puisque cette société — avec d'autres distributeurs de Linux — soutient ce projet.

La garantie

Avec la pérennité des produits, la notion de garantie est également un thème de préoccupation courant. La garantie concerne ici l'application des fonctionnalités du logiciel aux données de l'utilisateur et à ses éventuelles conséquences sur leur intégrité.

Il est bien évident que l'on ne peut pas attendre d'un bénévole — le développeur de logiciel libre — qu'il engage sa responsabilité en garantissant son produit. Intolérable pour l'entreprise ?

Rappelons que les termes de la garantie de MS-Windows 95 en limitent la durée à 90 jours et qu'elle ne couvre nullement les dommages que pourraientt occasionner son utilisation. Elle nous assure simplement que le logiciel devrait pour l'essentiel — c'est le terme employé — se comporter conformément aux performances décrites dans le(s) manuel(s) l'accompagnant. Nous voilà rassurés !

Nous venons — certes — de nous surprendre à participer au lynchage collectif de Microsoft mais il n'en demeure pas moins que cela illustre la conception qu'ont les éditeurs propriétaires de la notion de garantie. Quelle conclusion en tirer si ce n'est, une fois de plus, que l'utilisation d'un logiciel libre ne constitue pas un risque plus important que celui que provoquent les solutions propriétaires. Les versions stables des logiciels libres sont parfaitement identifiées et leur disponibilité est largement annoncée via l'Internet ou par voie de presse.

Le recours aux compétences d'une société de services proposant des solutions construites sur du logiciel libre peut constituer une forme de garantie. En engageant la responsabilité de son entreprise, le prestataire "garantit" les fonctionnalités du produit.

Le support

Dans le modèle coopératif, la charge que représente le support aux utilisateurs est repartie entre l'équipe de développeurs et les utilisateurs eux-mêmes. L'Internet sert évidemment de support à ce service. Les news lists et les forums de discussion sont des lieux d'échanges du savoir et de l'expérience de chacun.

La documentation "rédigée" est toutefois abondante et son internationalisation progresse rapidement. Le Linux Documentation Project [11] concentre les principaux effort de documentation de GNU/Linux.

Pour l'industriel le fait qu'un logiciel libre soit un produit lié à une personne physique et non à une personne morale constitue une autre source de perturbation cérébrale. Qui représente le produit ? Qui en assure le support ? Qui est mon interlocuteur privilégié ? Où est-il ? Dois-je rechercher moi-même l'information sur l'Internet ?

Pour répondre à cette demande, de nouvelles sociétés de services jouent le rôle d'interface entre l'univers quelque peu "virtuel" du logiciel libre et celui des entreprises. Dans ce domaine, l'offre est croissante. Les OSS sont ainsi générateurs d'activité économique dans le domaine du service.

Du "rôle" des OSS

Le modèle coopératif, tel que nous l'avons présenté, ne semble pas pouvoir répondre aux demandes marginales, à la spécificité de chacun. Les projets de masse constituent son domaine de prédilection. Il démontre tout son potentiel dans le développement et la maintenance des outils communs : systèmes, réseaux, environnements graphiques, applications de base. Ce dont tout le monde a besoin.

Est-ce réellement la vocation des développeurs de l'Internet que de développer les applications de métier ? Certes non. C'est principalement sur ce créneau que l'industrie du logiciel a un rôle à jouer. En prise directe avec les entreprises, souvent positionnées sur des marchés ciblés, les sociétés commerciales ont des arguments que le logiciel libre n'a pas.

La vocation première du logiciel libre est certainement d'agir là où la transparence est nécessaire.


Conclusion

Le modèle de développement coopératif a fait ses preuves. Fort de ses huit années d'expérience, il est à même de proposer des logiciels de grande qualité, adaptés à la demande, et dont l'adoption n'expose pas d'avantage l'entreprise que celle d'une solution propriétaire. Protégé par ses licences Open Source, il est à la fois viable et fonctionnel sur un marché spécifique : celui du logiciel, de l'immatériel, là où règne l'abondance [13].

Le modèle économique que sous-tend l'approche communautaire apporte de la nouveauté dans un monde que l'on pense définitivement soumis à l'économie de marché. L'intérêt qu'il suscite s'étend au-delà de la sphère informatique. Économistes, sociologues, tous ceux que l'air du temps intéressent, trouvent matière à réflexion. Les gouvernements y voient une source d'indépendance face à la domination américaine sur le marché du logiciel [14]. Des politiques volontaristes se mettent en place. La contribution européenne aux efforts de développement des logiciels libres est d'ores et déjà conséquente. Dans certains secteurs d'activité (le secteur bancaire notamment), l'Allemagne s'est engagée dans le déploiement des OSS. La France devrait suivre dans les domaines de l'enseignement et de la fonction publique [15].

Avec l'arrivée d'investisseurs aussi importants qu'Intel, IBM, Compaq et Dell dans le capital de RedHat, certains voient entrer le loup dans la bergerie. Ce scénario pourtant réfuté [16] semble toujours d'actualité. Le logiciel libre surveille déjà du coin de l'œil ceux de ses enfants qui ont pactisé avec le grand capital. On parle de stratégie, de positionnement sur des marchés spécifiques, là où il y a peu régnait encore un certain idéalisme.

Avec la récente définition de l'Open Source, le logiciel libre semble abandonner la voie de l'affrontement direct avec l'industrie du logiciel pour une cohabitation plus sereine, sans concession majeure. L'essentiel de ce qui fait la force du logiciel libre est conservé : la transparence. Cette nouvelle définition marque également une volonté de fusion des licences libres vers un cadre juridique commun. Avec l'Open Source "l'esprit libre" entre dans les mœurs.

Souhaitons que le logiciel libre demeure une source de code intarissable et reconnue d'intérêt public.


Notes

[1] — Le chapitre 5 de l'ouvrage de Jean-Paul Smets et Benoît Faucon : "Logiciels Libres. Liberté, égalité, business" traite en détail du cadre juridique des OSS (cf. références bibliographiques).

[2] — Les informations "officielles" sur la GPL et la Free Software Fondation sont disponibles sur le site officiel du projet GNU : http://www.gnu.org

[3] — Le terme de hacker est réservé aux bidouilleurs de génie qui produisent le code source des programmes. Contrairement au cracker — pirate mal intentionné qui agit pour le compte du côté obscur — le hacker agit au grand jour.

[4] — La NPL (Netscape Public License) couvre la mise à disposition du code source du logiciel Navigator ® de Netscape. Cette licence constitue un exemple type des licences Open Source rédigées par les sociétés commerciales souhaitant rallier le mouvement du logiciel libre tout en conservant la maîtrise du produit et bénéficier des améliorations apportées par la communauté des développeurs. http://www.netscape.com

[5] — La bibliothèque graphique Qt de la société Troll Tech est désormais distribuée sous les termes d'une licence Open Source : la QPL (Qt Public Licence). La version 2.0 est en cours de développement. http://www.troll.no/

[6] — La définition de l'Open Source 1.0 : cet essai est extrait du livre "Open Source — Voices from the Open Source Revolution" des éditions O'Reilly.

Bruce Perens (l'auteur de cet essai) détient les droits d'auteur de ce texte et l'a publié sous les termes de la Licence Publique Générale (GPL). L'insertion de ce texte dans le présent document est ainsi rendue possible.

Le texte intégral de la version française — traduit de l'anglais par Sébastien Blondeel — est disponible au format HTML sur le site O'Reilly-France : http://www.editions-oreilly.fr/opensrc/fr-the_open_source_definition.html

Site officiel de l'Open Source : http://www.opensource.org

[7] — Expression empruntée à l'article "Les programmeurs de l'ombre"> de Laurent Mauriac, paru dans le supplément multimédia de Libération (édition du 24 décembre 1998). http://www.liberation.com

[8] — Les documents Halloween de Microsoft sont disponibles sur le site officiel de l'Open Source : http://www.opensource.org/halloween.html

[9]La cathédrale et le bazar est le texte de référence en matière de développement coopératif. Eric Raymond — son auteur — nous fait part de son expérience dans le développement du projet fetchmail. Ce texte est disponible dans sa version française sur le site Linux-France. Sa traduction est l'œuvre de Sébastien Blondeel. http://www.linux-france.com/article/these/cathedrale-bazar/cathedrale-bazar_monoblock.html

[10] — Expression empruntée à l'ouvrage de Jean-Paul Smets et Benoît Faucon : " Logiciels Libres. Liberté, égalité, business." (cf. références bibliographiques).

[11] — Miroir français du Linux Documentation Project : http://linuxfr.org/LDP.

[12] — Projet de standardisation de Linux : http://www.linuxbase.org/

[13] — L'économie de l'immatériel et la société d'abondance sont les thèmes centraux de l'article de Bernard Lang : "Ressources Libres et Indépendance Technologique dans les Secteurs de l'Information". Cet article est disponible sur le site : http://pauillac.inria.fr/~lang/libre/

[14] — Jean-Paul Smets : Logiciels Libres une opportunité pour l'Europe. Les écrits de Jean-Paul Smets sont disponibles sur le site : http://www.smets.com .

[15] — Mission Baquiast — Propositions sur les apports de l'Internet à la modernisation du fonctionnement de l'État : Promouvoir les logiciels Libres. Ces propositions sont consultables sur le site : http://www.admiroutes.asso.fr/mission/rapport/mesures/logilibres.htm

[16]Linux and the monopoly game par Nicholas Petreley. L'auteur analyse puis réfute le scénario dans lequel RedHat se substitue à Microsoft dans le rôle du méchant — ou comment RedHat succombant aux sirènes du grand capital, perd son âme dans les profondeurs des stratégies commerciales.http://www.linuxworld.com/linuxworld/lw-1999-01/lw-01-penguin.html


Bibliographie

Ouvrages

Logiciels Libres — Liberté, égalité, business.

Jean-Paul Smets & Benoît Faucon.

Éditions Edispher — 1999

ISBN : 2-911-968-10-7

Open Sources — Voices from the Open Source Revolution.

Édité par Chris DiBona, Sam Ockman & Mark Stone.

Éditions O'Reilly — 1999

ISBN : 1-56592-582-3

Essais, études et mémoires

La cathédrale et le bazar.

Eric S. Raymond

Disponible sur le site Linux-France :

http://www.linux-france.com/article/these/cathedrale-bazar/cathedrale-bazar_monoblock.html

Les six premiers mois du Logiciel Libre.

Eric. S. Raymond

Linux Gazette N°32 — Juin 1998

Traduction : Eric Jacoboni

Disponibilité : http://www.linux-France.com/article/lgazette/issue-32/lg-32-3.html

Ressources Libres et Indépendance Technologique dans les Secteurs de l'Information.

Bernard Lang — INRIA

Forum Initiatives 97 — Hanoi, 25-26 octobre 1997

Disponibilité : http://pauillac.inria.fr/~lang/ecrits/hanoi/

Les Coûts de la Bureautique d'Entreprise — Étude de quatre scénarios d'investissement.

Jean-Paul Smets — 1998

Disponibilité : http://www.smets.com/it/tco/cout_total_invest.html

Linux and the monopoly game — Does Red Hat played backwards sound like Satan to you ?

The Penguin Brief — Linux World

Nicholas Petreley — janvier 1999

Disponibilité : http://www.linuxworld.com/linuxworld/lw-1999-01/lw-01-penguin.html

L'économie du Logiciel Libre — Un point de vue de l'utilisateur.

Jean-Paul Smets —1998

Disponibilité : http://www.aful.org/publi/

Renforcer la concurrence — Stimuler l'utilisation d'Internet3 lois pour informatiser la France.

Jean-Paul Smets —1998

Disponibilité : http://www.smets.com/it

Piège dans le cyberespace.

Roberto Di Cosmo — 1997

Disponibilité : http://www.mmedium.com/dossiers/piege/

Guerre des OS.

Roberto Di Cosmo — décembre 1998

Disponibilité : http://www.zdnet.fr/fr/actu/dicosmo.html

L'informatique en réseau.

Étude réalisée par la société AZARM — 1998/99

Disponibilité : http://b.azar.fr/etude1/etude1.html

Mémoire en marketing sur le marché du système d'exploitation Linux.

Antoine Brisset — février 1999

Disponibilité : http://www.linux-France.com/article/these/memoire-brisset

Presse 

Décision et Micro : http://www.decisionmicro.com

Dossier : Le logiciel libre a enfin tout pour convaincre.

N°371 — 22 février 1999.

Dossier : Unix : 30 ans de carrière et toujours à la pointe.

N°372 — 1er mars 1999.

La Tribune Desfosses : http://www.archives.latribune.fr

Supplément Multimédia : Dossier OSS (différents articles).

Édition : 10 septembre 1998.

Libération : http://www.liberation.com

Cahier multimédia : Vers une nouvelle utopie concrète ?

Auteur : Olivier Blondeau.

Édition : 16 novembre 1998.

Cahier multimédia : Les programmeurs de l'ombre.

Cahier multimédia : Le logiciel brise ses chaînes.

Auteur : Laurent Mauriac.

Édition : 24 décembre 1998.

Articles divers

The Wonderful World of Linux 2.2.

Joseph Pranevich — 1999

Disponibilité : http://www.linuxtoday.com/printstory.pl?sn=296

Linux as an Embedded Operating System

Jerry Epplin — octobre 1997

Disponibilité : http://www.embedded.com

Sites Web Francophones

Association Francophone des Utilisateurs de Linux (AFUL) : http://www.aful.org

Linux-Center : http://www.linux-center.org

Linux-France : http://www.linux-France.fr

Abonnements Électroniques

NNL : Les nouvelles neuves de Linux (et des logiciels libres) éditées par l'AFUL : information "temps réel" sur GNU/Linux et les OSS. Idéal pour en suivre l'actualité. http://liberte.aful.org/mailman/listinfo/nnl