ZeligConf
: Ca manque d'utopistes !
Compte rendu subjectif et approximatif de la
conférence européenne des contre-culture digitales du 15, 16 et 17
décembre 2000
Faire connaître Gnu/Linux et la problématique des brevets logiciels
aux cyber-militants du monde associatif, mener une réflexion sur l'évolution
actuelle de la société en l'articulant au phénomène des logiciels
libres, et tenter d'inventer des projets communs s'inspirant du formidable
processus d'intelligence collective qui règne dans les communautés
de développeurs : c'était l'un des objectifs de la ZeligConf.
Le logiciel libre se développe à travers le monde : IBM, L'Etat chinois,
les libertariens américains, des élus de toute tendance en France,
l'UNESCO, et beaucoup d'autres, et maintenant la ZeligConf. Les partisans
du logiciels libres, qu'ils aient ou pas d'affinité particulière avec
les cyber-résistants d'indymedia, d'act-up ou de samizdat, peuvent
considérer cet événement comme une nouvelle avancée. Pour ma part
je me félicite de l'émergence de nouveaux débats que j'attendais depuis
longtemps... en vain. Et les "militants" que j'ai rencontré à cette
conférence n'ont rien à voir avec tout ceux que j'ai pu rencontré
avant : pour moi comme pour eux, les logiciels libres et/ou l'utilisation
des réseaux ont modifié profondément leur perception du monde.
VENDREDI 15 DECEMBRE 20000
TOUR DE TABLE DE PRESENTATION :
Dans la salle, environ 40 personnes venues de toute l'Europe. Chaque
personne se présente à tour de rôle, de la façon dont il le souhaite,
et si possible brievement étant donné les impératifs de traduction.
Les motivations et les attentes sont apparemment très diverses, certains
ignorent tout du logiciel libre (il y en a même, comme je le découvrirai
plus tard, qui pensent qu'il s'agit d'un projet anticapitaliste :-).
Au milieu des interventions sur les expériences concrètes des un(e)s
et des autres, je me présente pour ce que je suis : utopiste, optimiste
et plus orienté sur la théorie que sur la pratique. On ne se refait
pas :-) "Il faut encourager l'extension du processus de création des
logiciels libres aux autres domaines de création immatériel, pour
à terme concurrencer le capitalisme informationnel, et changer le
monde" (en quoi ? je ne sais pas). Sans vouloir me vanter, mon intervention
était de loin la plus utopiste :-)
DISCUSSION DE COULOIRS :
Les locaux se remplissent, et il est impossible de discuter avec tout
le monde : Des linuxiens contre les brevets logiciels, des universitaires
en économie et sociologie, des militants de l'université ouverte,
des hacktivistes, des militants du libre et des militants politiques,
des associatifs pour le développement et la promotion de l'hébergement
gratuit au Sénégal, des hackers (au sens où le définit Eric Raymond),
des internautes qui sont venus par curiosité, des militantes d'un
réseau d'échange de savoir en banlieue, des finlandais de Indymedia,
un théoricien qui parle de soutenir le libéralisme pour venir à bout
du nouveau féodalisme, un informaticien retraité qui peut enfin programmer
comme il l'entend, des squatters de Madrid qui développent un serveur
indépendant et font la promotion du logiciel libre, des journalistes
de digipress, un enseignant qui relate l'expérience des luttes syndicales
via les listes de diffusion, des italiens qui enseignent Unix à des
salles combles de néophytes, et j'en oublie plein !
ATELIER-LABORATOIRES :
"L'après Altern : les projets de serveurs alternatifs" et "Réseau
d'échange de savoir techno-scientifiques". Les gens se répartissent
en fonction de leur problématique préférée. Les salles sont pleines,
le couloir aussi avec une forte majorité d'accro à la nicotine, l'ambiance
est sympa, tout baigne. J'opte évidemment pour le deuxième atelier
:-) La communication est difficile, notamment entre informaticiens
et non-informaticiens, et plus généralement parceque les participants
viennent de cultures différentes, qu'il manque de chaises, et qu'il
faut traduire. C'est l'occasion de lancer le débat sur comment développer
la communication : anglais informatique ou traduction ? Comment partager
les connaissances entre spécialistes et non-spécialistes ?
Les associatifs qui participent à des réseaux d'échange de savoir
non informatique invitent les informaticiens à venir donner des cours
ou demande de l'aide sur la mise en place de serveur de nouvelle PHP-MySQL.
Les informaticiens essaient d'imaginer une amélioration de la documentation
sur les logiciels libres, et une transposition de leur méthode d'entraide
à d'autre domaine de connaissance. On parle briévement de cours sous
forme de vidéo d'écran avec commentaire audio, de la nécessité d'utiliser
(d'adapter ?) les licences copyleft open-content ou LLDD. On insiste
sur la nécessité de concevoir de la documention interactive, afin
qu'elle puisse être corrigée et améliorée par ses propres utilisateurs.
Malheureusement les participants ont parfois du mal à s'autodiscipliner,
et par moment la cacophonie règne.
Avantage et inconvénient des discussions in the real life comparés
à celles des forums sur le net... Un informaticien venu d'un LUG de
province et qui a lui aussi trouvé le débat quelque peu cacophonique
me signale après la réunion que la partie des débats concernant la
conception et la maintenance de la documentation a déjà été menée
dans les LUGs il y a trois ans. Que le couple PHP-MySQL est inadapté
à cet usage. J'ai appris plein de choses au passage sur XML, et ses
balises fantastiques. Il m'a expliqué également pourquoi l'idée d'une
documentation interactive ne pouvait pas fonctionner sans un médiateur
garant de la cohérence générale du texte.
"Paris By Night : Invitation à la dérive de bar en bar jusqu'au bout
de la nuit..." Tout est dans le titre ! Comment parler anglais avec
des finlandais dans ces conditions :-)
SAMEDI 16 DECEMBRE 2000
Atelier-Laboratoire : Reveil difficile... Du coup, je zappe l'atelier
"initiation à la cryptographie" pour "introduction aux unix libres".
J'ai toujours aimé l'archéologie, et avec BSD j'ai été servi. Une
bonne occasion de faire le point sur la guerre des Unix. Surprenant
! A la sortie je croise l'un des organisateurs de l'atelier cryptographie
en train de discuter d'échelon et de la NSA. Finalement, je suis convaincu,
on a raison d'être un peu paranoïaque. Va falloir que je me fasse
une signature PGP un de ces quatres matins...
Conférence-débat : MOUVEMENT ACTIVISME ET COMMUNICATION
La salle est pleine, environ une centaine de personnes. Même si l'on
peut regretter que le débat n'ait pas abouti à quelque chose de concret,
à savoir une agence de presse européenne indépendante, la problématique
information directe ou médiation journalistique n'a laissé personne
indifférent. Les journalistes présents dans la salle ont pu sentir
le vent de la révolte d'Indymedia, des partisans du projet d'un slashdot
des anti-mondialisations européens (ou pour une mondialisation plus
démocratique), ou carrément des partisans de l'information sans aucune
médiation : mailing list rulez ! Une partie du débat portait sur la
nécessité de produire une information pédagogique, c'est à dire par
exemple être capable de faire comprendre une lutte se déroulant en
France aux autres européens ne possédant pas le background culturel
et politique de notre pays. Plusieurs personnes proposent d'insister
au niveau européen sur la communication concernant les brevets : brevets
logiciels, brevets sur les médicament contre le sida dans le tiers-monde,
brevet sur le vivant, brevet sur les semences agricoles et les OGM...
Beaucoup découvre cette problématique et semble la reprendre à leur
compte. Chouette :-)
En ce qui concerne l'agence de presse, je soutien l'idée proposée
de mettre en place un slashdot like européen, en anglais, qui demande
moins de boulot qu'un site journalistique et permet plus d'indépendance.
Je propose aussi que l'on puisse s'en servir comme source pour un
site éditorial "digest" et sur lequel pourrait s'activer les traducteurs.
L'idée me paraissait bonne mais est très critiquée : ce serait prendre
les internautes pour des moutons et "ca ne se fait pas". Je n'ai rien
compris à l'esprit d'internet :-( Un linuxien parle de la pertinence
du modèle de sites en réseau autour de slashdot. Je n'ai pas tout
suivi, mais je vais étudier la question. Beaucoup ne connaissent pas
encore les "web forums", et notent les url en ayant l'intuition, à
juste titre, de mettre le doigt sur un quelque chose d'important.
Conférence-débat : LOGICIEL LIBRE ET COOPERATION
PRODUCTIVE
La salle était pleine, maintenant elle est archi-pleine. Je dirai
plus de 200 personnes, mais je n'ai pas compté. Au cours de ce débat
beaucoup découvrent pour la première fois ce qu'est vraiment la coopération
productive chez les développeurs Linux, et ça ne laisse pas indifférent.
Ceux qui connaissent sont ravis de voir qu'on s'intéresse enfin à
ce phénomène. Pour certains ils faut expliquer : non, il ne s'agit
pas d'un mouvement anti-capitaliste, ni même d'un mouvement idéologique
ou altruiste. Il ne s'agit pas d'un mouvement uni, mais de très nombreux
projets indépendants, avec des gens très différents les uns des autres.
Le public est passionné, c'est génial !
J'ai raté le début de la conférence réalisé par un membre de la communauté
BSD, mais très technique, trop technique malheureusement pour le public.
Un copain me raconte qu'il avait invité quelques personnes pour leur
faire découvrir le sujet, et qu'elles sont parties à ce moment. Tant
pis. Il faut dire que ce n'est pas facile à expliquer à un public
non informaticien. Deux membres d'April, dont Frédéric Couchet, prennent
le relais en essayant de faire au maximum dans la simplicité et la
clarté, parlent du fonctionnement de la communauté du logiciel libre,
de l'importance de la GPL : le copyright n'est plus utilisé pour fermer
une oeuvre, mais au contraire pour l'ouvrir. Un militant propose de
restreindre la licence GPL pour la rendre plus éthique, c'est à dire
anti-commercial. On se marre et on explique.
Le sociologue Olivier Blondeau rappelle que si les logiciels libres
se sont développés en partie au delà de la firme, au delà du marché
et au delà de l'Etat, il est surtout important de réaliser qu'ils
se sont surtout développés au sein de la firme, au sein du marché,
au sein de l'Etat. Il précise que l'Etat a financé beaucoup de chercheurs
universitaire qui ont développé du logiciel libre, sans pour autant
contrôler leur production. Les logiciels libres portent selon lui
la contradiction au coeur du système. Un jeune programmeur s'inquiète
du risque que la jurisprudence ne soit pas favorable à la GPL en cas
d'appropriation d'un logiciel libre par une boite informatique. On
rappelle que tout les conflits précédents ont été résolus directement
par la Free Software Foundation, sans intermédiaire de la justice.
Que la GPL bénéficie de la même protection que le copyright.
Un économiste explique que le phénomène des logiciels libres est impensable
dans le cadre théorique de l'économie classique. Et que pourtant les
logiciels libres existent bel et bien. Selon lui, et si je me rappelle
bien, il y a un modèle économique qui permet aux logiciels libres
d'exister au sein de l'économie de marché (sociétés de service). Mais
beaucoup continue à programmer bénévolement, et beaucoup de créateurs
fournissent gratuitement des informations sur le net : est-il effecient
et juste que ces personnes ne soit pas rémunérées. Ne faudrait-il
pas encourager des mode de travail coopératif dans d'autres domaines
de création immatériel, puisque ce modèle a démontré sa supériorité
? Par ailleurs, de plus en plus d'économistes jugent crédible la proposition
d'un "revenu de citoyenneté"... Parmi plusieurs autre interventions
intéressantes, j'en ai retenu une qui rappelle que même si les artistes
veulent utiliser le modèle du copyleft, ils sont pour l'instant contraints
d'utiliser des formats propriétaires comme par exemple real-video.
Orwell Party : Remise des Big Brother Awards pour la France. La cérémonie
a déjà été suivie par de nombreux médias...
DIMANCHE 17 DECEMBRE
Atelier-Laboratoire du matin :
- Le projet Freenet : recâbler l'Internet
- Install party GNU/Linux
Conférence-Débat : SAVOIR EN RESEAU ET PROPRIETE
INTELLECTUELLE
Tentative de créer un lien entre la lutte contre les brevets logiciels
et celle d'Act-up pour autoriser la production de médicaments génériques
dans les pays les plus pauvres et les plus touchés par le Sida. L'intervention
d'Act-up est très documentée et détaillée : je vous renvoie à leur
site web pour en savoir plus (http://www.actupp.org/).
Ensuite le débat part dans tous les sens. Peu interviennent de la
façon dont je l'espérais. Charlie explique que la constitution actuelle
de rente par des grosses multinationales qui s'approprient des pans
entiers du savoir humain s'apparente plus à du féodalisme qu'à du
libéralisme. Il faut donc dans cette lutte s'allier au libéralisme...
comme lors de la révolution française de 1789 en fin de compte...
Certains ne comprennent même pas de quoi on parle :-) D'autres grincent
des dents face à cette comparaison simplificatrice. Pour ma part j'apprécie
les simplifications, et je me vois déjà au prochain contre-sommet
de la mondialisation (à Barcelone) avec une pancarte "A bas le féodalisme
des multinationales : le savoir appartient à tous." et "L'information
veut être libre; faites la vous même".
Après 30 minutes d'attente, je peux enfin intervenir : "Des millions
de vies sont en jeu, il convient donc d'agir en étant bien documenté
et pragmatique (ce que fait Act-up). Mais cela ne suffit pas : on
voit aujourd'hui que l'on doit remettre en cause les brevets sur les
médicaments, et plus généralement l'appropriation intellectuelle de
savoirs qui devraient rester libre, par des firmes privées. Mais cela
ne suffira pas : La recherche contre les maladies doit devenir libre,
à l'image des logiciels libres. On peut penser que la coopération
productive à l'échelle internationale puisse concurrencer la recherche
actuelle trop cloisonnée. Pour commencer, il faut faire pression sur
l'Etat français pour que la recherche publique devienne libre, c'est
à dire qu'elle utilise des licences de type copyleft". Mon intervention
n'a pas l'air d'avoir intéressé grand monde... Ca manque d'utopistes
par ici :-)
Conférence-Débat : Internet et contrôle des contenus. Je n'y étais
malheureusement pas, mais un compte rendu passionnant est disponible
sur Uzine2 (www.minirezo.net ).
CONCLUSION
Une ambiance de fête, et des individus de tout horizon, des conférences
passionnantes, des salles pleines qui découvrent incrédules la fabuleuse
histoire des logiciels libres. Apparemment la ZeligConf a été un succès
total. Pourtant le pari de faire naître des projets communs entre
des personnes issues de différentes cultures du réseau a échoué, chacun
restant enfermé dans sa problématique : cyber-militants associatifs
ou politiques, partisans des logiciels libres, Partisans du libre
et du copyleft, "journalistes" de médias indépendants, défenseurs
du respect de la vie privée par la cryptologie, et défenseurs de la
liberté d'expression sur le net qui est constamment menacée par des
lois (volontairement ?) maladroites... En réalité, il faut un début
à tout. Et la ZeligConf est peut-être bien ce début...
Séverin Tagliante
Copyright (c) Séverin Tagliante,
http://severino.free.fr/archives
, 1er janvier 2001. Reproduction intégrale et conforme (sauf fautes
d'orthographes:-) autorisée sur tout support, à condition d'y intégrer
ce copyright, et à condition que le support ne comporte que des textes
copyleftés, ou aucune publicité, ou fasse la promotion du logiciel
libre. (tentative de licence contagieuse de type copyleft pour les
textes de reflexion. Toutes suggestions et critiques bienvenues:-).
|