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QUELQUES ARGUMENTS CONTRE LA SUR-TAXE DES GALETTES...
L'abondance culturelle réservée aux riches !
OU PUNIR LES AUTEURS BÉNÉVOLES ET CRÉER LA PÉNURIE.

12 mars 2001

par severino

Jusqu'à maintenant le discours le plus fréquemment opposé à la tascataxe est qu'elle est injuste, puisque plus de la moitié des CDs sont utilisés pour copier des données ne relevant pas de la SACEM. Il y a les sauvegardes de sécurité des entreprises qui sont nécessaires, et les copies de logiciels et de jeux, qui sont parfois illégales, mais aussi parfois parfaitement légales quand il s'agit de shareawares, freeware ou de logiciels libres.

Surtout de plus en plus de citoyens utilisent ces galettes pour leurs propres créations, ou pour des œuvres dont l'auteur a explicitement permis la copie. C'est bien sûr l'argument le plus facilement acceptable par l'opinion publique. Il est même imparable, et a l'immense mérite de révéler au passage que, de plus en plus, la création échappe concrètement à la sphère marchande, ce que les spécialistes du ministère de la culture se sont bien gardés, en toute connaissance de cause, de révéler au grand-public. Des citoyens qui se mettent à créer et à partager ça fait désordre...

Mais personne pour défendre les copieurs de CDs audios, les collectionneurs de CDs de MP3 et de Divx (Format de compression vidéo permettant de faire tenir un film sur un CD). Cela veut dire que parmis les dizaines de milliers de personnes qui ont signé les pétition anti-tascataxe, certains l'ont fait en se percevant comme des « méchants ». Certains messages signalaient qu'il y avait à l'origine de leur motivation « le côté clair et le côté obscur de la force »... en référence à Starwars. Et ce n'est pas étonnant puisqu'une propagande insistante, relayée par tous les bien-pensants de l'hexagone, consiste à leur attribuer la sympathique appellation de « pirates ». « Pirates ! criminels ! inconscients ! dégueulasses ! Vous tuez les artistes ». A la pointe du combat contre cette odieuse piraterie : ceux qui peuvent s'acheter autant de CDs audios et de DVDs vidéos qu'ils le désirent. Objectivement, les copieurs clandestins ne tuent personne, ne volent rien, ils s'échangent de la culture entre amis en la dupliquant, c'est tout. Je ne vois là rien de choquant sur le plan de l'éthique.

Comprenez-moi bien, je ne suis pas pour qu'on laisse tomber le droit patrimonial d'auteur en ce qui concerne la vente de CDs. Et je déplore même que les copieurs préfèrent s'échanger clandestinement les titres d'Universal, plutôt que de donner leur chance aux artistes qui libèrent leur musique par le copyleft, comme Ram Samudrala. Mais criminaliser l'échange culturel par Monsieur tout le monde me révulse. Excusez la démesure de ma réaction, mais l'écœurement que je ressens face à cette attitude absurde, me fait penser aux écœurements que j'ai pu ressentir en lisant des livres d'histoire sur la répression de la culture par les vieilles dictatures : les autodafés nazis, et le contrôle des numéros de série des machines à écrire par les États staliniens, pour tenter d'empêcher les samizdats de circuler. En plus de cette absurdité, il y a l'attaque frontale contre la culture pour tous : l'attaque du porte monnaie, qui fait que le rêve de pouvoir disposer bientôt de l'intégrale des films de Charlie Chaplin en Divx s'éloigne pour un temps indéfini. Comportement de consommateur ? Peut-être. Mais est-ce le rôle d'un ministère qui se dit de la « culture » d'empêcher à tout prix nos petites manies de collectionneurs ? Depuis que Dieu nous a chassé du jardin d'Eden, l'abondance fait peur. A moins que la peur vienne de la liberté. Ils perdent une (petite) part de contrôle sur l'organisation du grand spectacle médiatique, et ça leur fait peur. Moi, qui désespérais de voir changer ce monde de mon vivant, ça me fait bien plaisir. Même si l'inconnu dans lequel nous projette cette mutation inédite me donne un peu le vertige. Fin de l'intro. La suite, en vrac, et tout de suite...

 

Critique Multiforme
 

Pour tous les passionnés d'informatique et d'internet qui ont pris l'habitude de s'échanger de la musique, des logiciels, des films, des bandes-dessinées numérisées, des textes..., qui ont découvert émerveillés une abondance culturelle jusqu'à là réservée aux plus riches, vouloir sur-taxer les CDs vierges a décidément quelque chose d'indécent : un crime contre l'intelligence.

Anticonstitutionnellement

D'autant plus que cette surtaxe est destinée à tomber principalement dans la poche d'éditeurs de plus en plus monopolistiques (même si, subtilement, ils aiment à cultiver une image d'ouverture. Exemple avec Vivendi : pub pour Georges Brassens, débat avec Charlie Hebdo, liberté de ton sur Canal +...), et ce de façon opaque jusqu'à maintenant (renseignez-vous sur l'argent de la sur-taxe sur les cassettes vierges depuis longtemps en vigueur. Savez-vous que la Cour des comptes ne peut fourrer son nez dans la Sacem qui n'a rien de public ?) voire anticonstitutionnelle puisqu'en principe c'est le trésor public qui est habilité à récolter les taxes, et que toute nouvelle taxe doit être validée par le législateur. Or la décision a été prise par une commission « représentative » des producteurs de matériel, des consommateurs, des auteurs et des éditeurs. Dans mon esprit, une commission avait l'intérêt d'approfondir un sujet à fond de façon à conseiller les élus et les ministres avec pertinence. Pas de prendre des décisions toute seule et sans réfléchir. Ou alors il faut démocratiser la commission (et on l'appelle soviet, tant qu'à faire !) Bref, je ne comprends pas pourquoi cette taxe n'est pas anticonstitutionnelle aux yeux des juristes (à creuser...).

Pauvres débats...

Les pauvres débats qui y ont été tenus n'ont apparemment pas porté sur la possibilité pour une partie de la culture et du savoir d'échapper à la marchandisation. C'est pourtant bien ce qu'il se passe concrètement. Déjà les sites webs indépendants séduisent une part croissante des utilisateurs du net, qui participent à leur construction, et deviennent à leur tour auteurs. A moins que tous ces amateurs aient été considérés comme négligeables, voire nuisibles et à détruire, comme les radios libres dans les années 1980... La pauvreté des débats menés dans cette commission par des participants désinformés, braqués sur leurs intérêts à court terme, ou manipulateurs (au choix) quant à la richesse du phénomène des réseaux et de la numérisation des savoirs, ne fait aucun doute. J'en veux pour preuve que les industries du jeux vidéo, du logiciel propriétaire, et du cinéma n'ont pas été prises en considération. J'en veux pour preuve également qu'ils n'ont même pas prévu de rembourser cette sur-taxe aux entreprises qui ne consomment des CDs vierges que pour les « backups » (sauvegardes des données bureautiques).

Où va l'argent ?

Le président de cette trop fameuse commission taxatrice a paraît-il oublié de rappeler aux autres membres qu'il était également président d'une autre structure : celle chargée de récolter les gains issus de taxe sur les cassettes vierges. En voilà un qui préside donc en toute objectivité. En ce qui concerne la répartition des gains, on est dans le flou le plus total. Sans parler des risques de détournement invérifiables... on aimerait que la cour des comptes donne son avis sur ces organismes de répartition, comme elle le fait chaque année pour les organismes publics. En fait, le problème est de savoir quelle partie reviendra aux auteurs et quelle partie aux éditeurs. Quelle partie reviendra aux musiciens les plus vendus, et quelle partie reviendra aux musiciens confidentiels ? Y aura-t-il un plafond, des péréquations, un étalement sur la durée pour compenser les oscillations de la gloire ? Est-ce-que ce sera transparent ? Les auteurs uniquement diffusés sur le net, ou qui font de la musique libre, en bénéficieront-ils. « On nous cache tout, on nous dit rien ». Ceux qui ne rentrent pas dans les grilles, seront-ils punis ? Cette surtaxe est politique. Elle est destinée à étouffer l'émergence de nouvelles pratiques culturelles.

Comment ne pas réaliser que la gestion de la musique par deux ou trois grand groupes mondiaux est un moyen de contrôle et de pouvoir, dans un monde où le pouvoir est de plus en plus diffus ? Qu'Universal produise aussi des groupes comme Zebda ne change rien à mon point de vue. Non seulement, la sélection et la promotion des groupes telle qu'elle se fait actuellement tient peu compte du public, qui pourrait disposer d'une plus grande liberté de choix... Mais surtout, cet immense cheptel d'artistes et de droits sur des oeuvres leur assure une rente, et donc un pouvoir, monumental... et de type féodal. Madame Tasca répète à qui veut l'entendre que 25% des gains issues de ce nouveau prélèvement (qui n'est pas une taxe) seront utilisés pour aider les nouveau talents. Et moi j'entends : Il faut bien renouveler le cheptel... Et hors du troupeau, vous êtes tous des nuls, bande d'amateurs ! Vous faites de la musique avec un petit groupe d'amis, vous voulez la diffuser autour de vous sur support CD, et bien on s'en fiche, payez donc pour les stars au passage.

Un choix politique contre la liberté de création (si si, je vous jure)

Mais la véritable angoisse soulevée par ce projet, au delà de l'angoisse du porte-monnaie, est qu'il risque de (est destiné à ?) freiner efficacement l'émergence d'un pot commun de savoir libre. Quelle injustice, en effet, pour un utilisateur de logiciel libre, de payer des taxes à ses ennemis (les éditeurs de logiciels propriétaires, sans doute bientôt bénéficiaires de cette mesure) à chaque fois qu'il fait une copie de sa distribution préférée de Linux. Et il semble légitime de demander un remboursement de cette sur-taxe pour les CDs contenant des données copiées légalement. A défaut d'obtenir au moins cela, on peut s'attendre à ce que les opposants à cette tasca-taxe fassent pression et importent des CDs vierges de l'étrangers, par soucis d'économie autant que par principe.

L'utilisation des technologies numériques a permis de faire naître un pot commun d'oeuvres libres, copyleftées à la manière des logiciels libres. Copylefter une oeuvre consiste à utiliser la propriété intellectuelle que l'on a sur cette oeuvre pour dire « vous pouvez copier et diffuser cette oeuvre à condition d'en rappeler l'auteur et de conserver cette licence ». Selon le type d'oeuvre, et le choix de l'auteur, les modifications de l'oeuvre sont permises ou interdites. Ces oeuvres ont un avantage sur celles qui sont copyrightés classiquement : elles circulent légalement et contaminent de plus en plus de monde (à la manière d'un virus informatique). Cette force est ce qui permet à l'information libre de concurrencer des empires financiers comme Microsoft, alors que tous ses concurrents classiques s'y étaient cassés les dents. Et je suis prêt à prendre le risque d'une petite prophétie : c'est également ce qui se passera pour la musique... on commence déjà de plus en plus à parler de « musique libre » comme on parle de « logiciel libre ». Pour exister cette culture non marchandise a besoin de circuler, d'être triée, copiée, et éventuellement modifiée de nombreuses fois. Dans cette optique, le projet de taxer bientôt également les disques durs est perçu comme un moyen de retarder la croissance de ces modes alternatifs de production de biens immatériels...

L'Europe n'ose pas s'attaquer au libéralisme matériel en imposant la taxe Tobin, alors qu'il fait peu de doute, même pour de nombreux libéraux que ce serait une nécessaire régulation, allant dans le sens de l'intérêt général. Elle s'attaque, par contre, au libéralisme informationnel, alors qu'il promet à tous abondance de culture, de savoir, de communication. N'avons nous pas besoin de ce libéralisme informationnel pour lutter contre les excès du libéralisme matériel. Les multinationales, les capitalistes, ne se revendiquent de l'idéologie libérale que quand cela les arrange. Ils condamnent toute régulation sur le commerce des OGMs, ils condamnent les subventions françaises au cinéma, mais inventent un nouveau protectionnisme en créant des zones DVDs mondiales, et tentent d'empêcher la production de technologies de copie (et donc de production) individuelle. Peu à peu émerge la véritable nature des multinationales de la culture, du logiciel, des médicaments, des semences agricoles... : elles ne sont pas libérales, elles sont féodales. Leur rente ne se base plus sur la propriété d'immenses étendues de terres, mais sur la propriété d'immenses étendues de savoir humain. Or le savoir peut par définition se partager. Pourquoi appliquer le droit de la pénurie matérielle au monde de l'abondance numérique ? L'intérêt général va dans le sens de la création d'un domaine public mondial de l'information, pas dans le maintien d'une rareté artificielle quand l'abondance est accessible. A défaut de pouvoir envoyer le KGB chez tout le monde et punir les méchants pirates, on essaie de recréer un peu de rareté avec une taxe sur la durée (concept riche de possibilités futures, puisque la taille des supports numériques augmente rapidement).

 

Une autre taxe est possible. I want to believe...
 

1. Première possibilité : le remboursement. Je n'accepte cette taxe qu'à condition que l'on puisse se faire rembourser (facilement, concrètement, véritablement) chaque fois qu'elle est injuste : logiciels libres, travaux personnels, backup, musique libre, etc., etc., etc... Et qu'elle légalise la copie numérique entre proches, assez d'hypocrisie.

2. Deuxième possibilité : une taxe sur les supports numériques pour tous les auteurs. Même si je considère que surtaxer les CDs vierges et tenter d'empêcher tous ceux qui ne sont pas plein aux as d'accéder enfin à l'abondance culturelle, c'est dégueulasse, et qu'il y a plein d'autres choses à taxer comme les flux financiers, les routes, la pollution, les multinationales, l'abus de publicité, le cannabis, les yachts... il faut bien que l'argent vienne de quelque part dans un système de redistribution, et on pourrait donc éventuellement accepter la taxe les CDs... A condition que les objectifs soient justes et beaux... C'est à dire que cette taxe ne serve à rémunérer que les auteurs et tous les auteurs.

Rémunérer tous les auteurs, et rien que les auteurs

Tous les auteurs, c'est à dire même ceux qui ont décidé de placer leurs œuvres sous licence copyleft afin de garantir qu'elles puissent être par d'autres diffusées, classées, et selon le choix de la licence, remixées, améliorées, etc... Tous les auteurs ça veut dire que l'État se débrouille pour assurer au minimum un hébergement gratuit et sans publicité pour tous les sites non-commerciaux. Valentin Lacambre l'avait fait, mais l'État l'a défait. Bravo. Les auteurs de sites webs sont des auteurs, et beaucoup d'entre eux sont également auteurs dans d'autres domaines : musique, programmation, design, écriture, bande-dessinée, photographie, vidéo... Mais le net est aussi un outil génial pour les sculpteurs, les acteurs de théâtre, les peintres, les jardiniers, les passionnés de coutures qui peuvent s'échanger efficacement tuyaux, critiques, etc.. Au final, nous sommes tous des auteurs d'une façon ou d'une autre.

Pourquoi ne pas ressortir des tiroirs la proposition de revenu d'existence (ou impôt négatif) pour permettre à chacun de gérer plus facilement des périodes de temps d'activités rémunérées et d'autres d'activités passionnées. Et ainsi d'optimiser la production de savoir immatériel pour le bien de tous, et d'entamer le début de la démarchandisation du monde.

Pour en rester strictement à la musique, un serveur de téléchargement mettant à disposition la musique de tous les auteurs qui le souhaitent, permettrait de tenir compte du succès des uns et de la confidentialité des autres, et de les rémunérer en fonction (généreusement, mais en plafonnant...). En fait, il s'agit bien de réaffirmer fortement le droit moral de l'auteur sur son œuvre, notamment face au droit américain, le copyright, qui est un droit patrimonial d'auteur cessible. Avec le mécanisme décrit ci-dessus, l'auteur aurait ainsi intérêt à voir sa musique être téléchargée le plus possible, et donc être la plus connue possible, et donc être également la plus échangée. Il est probable qu'avec un tel fonctionnement la plupart des auteurs feront en effet le choix d'utiliser leur droit d'auteur pour garantir l'ouverture de leur œuvre, plutôt que pour en interdire l'échange. Une façon de renverser l'absurdité de la rareté actuelle du savoir collectif. Bientôt l'abondance culturelle, partout, pour tous !

Rémunérer tous les auteurs, et rien que les auteurs. Rien que les auteurs ? C'est à dire « pas les intermédiaires ». L'Etat n'a pas à protéger Vivendi et Warner, qu'ils se débrouillent puisqu'ils se réclament du libéralisme ! Ne peut-on pas imaginer d'autres moyens d'aider les musiciens et plus généralement les artistes ?

 

Conclusion
 

Je me répète, mais c'est pour mieux enfoncer le clou : il est d'intérêt général d'encourager l'abondance de savoir offerte par les supports numériques pour diminuer les inégalités d'accès à la culture entre les riches et les pauvres, voire entre le Nord et le Sud, et pour les démultiplier pour tous. Vouloir créer artificiellement de la rareté alors qu'il y a un principe d'abondance du fait de « l'ubiquité » numérique est absurde : un crime contre l'intelligence directement subi par tout citoyen de cette planète ! L'intérêt général commande au contraire et sans aucun doute d'inventer, d'imaginer, au delà de schémas de pensée devenus anachroniques, et malgré les intérêts particuliers des firmes mondiales.

Or l'abondance propre au support numérique (très faible coût, facilité de duplication), permet d'imaginer une sacrée utopie : un domaine public mondial de l'information, une bibliothèque universelle et décentralisée de toutes les œuvres libérées par leurs auteurs, ou tombées dans le domaine public avec le temps. Et même de toutes les oeuvres sans exception, si la loi évolue (on peut toujours réver).

Mon propos n'est pas d'encourager la duplication non autorisée d'oeuvres culturelles (quoique...). Seulement de rappeler que désigner les copieurs de CD audios par les termes « pirates » ou « contrefacteurs », provient d'un discours propagandiste des 4 ou 5 multinationales de la culture. Et pourtant... si on ne pouvait réellement pas copier la musique propriétaire, cela ferait longtemps que la musique libre aurait triomphé. Si vous ressentez, comme moi, cette prohibition sur la copie, alors ça vaut le coup de tenter l'expérience de la création, de la reprise et de la diffusion d'œuvres copyleftées... Morale de l'article : le warez c'est bien sympathique, mais le copyleft c'est bien plus subversif ! Mais dans les deux cas, Madame Tasca, on ira acheter nos galettes à l'étranger :-)

severino

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