Analyser les objectifs servis par un projet à code ouvert

Une entreprise doit donc déterminer dans quelle mesure ses produits implémentent une nouvelle plate-forme, et jusqu'où son intérêt commercial découle de la survie de cette plate-forme propriétaire. Quelle part de votre gamme de produits et de services, et donc quelle fraction de vos revenus, se trouve au-dessus de cette plate-forme, et combien au-dessous ? C'est même probablement quelque chose que vous pouvez chiffrer.

Supposons que vous éditiez un logiciel serveur de bases de données compatible avec de nombreux systèmes d'exploitation. Vous vendez séparément des logiciels d'administration graphique, des outils de développement rapide, une bibliothèque de procédures de base, etc. Vous proposez des contrats annuels d'assistance. Une mise à jour implique un nouvel achat. Vous assurez aussi des formations. Et votre groupe de conseillers croît rapidement et déploie votre logiciel auprès des utilisateurs.

Votre balance de revenus ressemble par exemple à ceci :

À première vue vous ne pouvez envisager d'offrir votre logiciel serveur car sa vente engendre 40% de vos revenus. Avec de la chance vous réalisez des bénéfices, et si vous êtes encore plus chanceux votre marge de profit atteint 20%. Renoncer à 40% brise l'édifice.

Cette analyse tient tant que l'équation ne varie pas. Il est cependant probable qu'elle change si vous étudiez correctement la question. Les serveurs de bases de données ne relèvent pas du groupe des applications que les entreprises achètent dans les rayons d'un magasin, installent, puis oublient. Toutes les autres catégories de revenus demeurent donc bien réelles et nécessaires quel que soit le prix du logiciel. Renoncer à facturer le serveur rend possible d'augmenter les autres services, car le coût du logiciel ne grève plus le budget des clients lorsqu'ils se procurent le serveur.

En simplifiant à outrance, si les utilisateurs restent motivés pour acheter les prestations de conseil et d'assistance ainsi que les outils de développement et les bibliothèques, alors la gratuité ou le moindre coût de la base de données permet de l'utiliser sur deux fois plus de systèmes. Cela ajoute donc 20% au revenu total. Mieux : cette gratuité permettra à environ trois ou quatre fois plus de nouveaux utilisateurs de découvrir votre logiciel. Cela réduira la proportion assurée par les autres services (car certains se contenteront de la version gratuite et aussi parce que vos concurrents offriront des services pour votre produit) mais tant qu'elle ne diminue pas trop vous augmenterez votre revenu global.

De plus, le coût de développement de votre logiciel diminuera si une licence appropriée le protège, notamment parce que des clients motivés corrigeront des bogues. La version standard intégrera peu à peu les efforts de ceux des consommateurs qui contribueront au projet de développement. Bref : vos coûts de développement diminueront.

Dans le cas d'une gamme de produits semblable à celle de l'exemple choisi, la « libération » du logiciel principal ne favorisera guère les actions de vos concurrents destinées à mieux exploiter d'autres sources de revenus. D'ores et déjà des conseillers intègrent vos outils, des auteurs indépendants en parlent, et d'autres entreprises (encouragées par vous) proposent des bibliothèques de code. La disponibilité du code source aidera peu vos concurrents à proposer une assistance technique portant sur votre code mais, en tant que développeur originel, vous disposerez d'un avantage qu'ils devront surmonter.

Tout n'est pas bleu et rose, bien sûr. Certains coûts liés à ce processus resteront difficiles à lier directement à un revenu. Le coût de l'infrastructure destinée à supporter cet effort, par exemple, n'est pas hors de portée mais peut mettre à l'épreuve les administrateurs de systèmes et le personnel assurant l'assistance technique. Il faudra y ajouter le coût de mise en place et de maintenance d'un canal de communication entre vos développeurs et le monde extérieur, et celui du développement d'un code ainsi publié, car la mise au point d'une version publiable du source s'avère parfois onéreuse. Après tout ce travail, le marché décidera peut-être que cette « libération » importe peu. Je fournirai à ce propos quelques réponses dans le reste de cet essai.