Tribune Libre: Ténors de l'Informatique Libre | ||
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Page précédente | Chapitre 2. Deux décennies d'Unix Berkeley — De la version AT&T à la version libre | Page suivante |
En plus des groupes organisés pour créer des systèmes libres créés à partir de la distribution Networking Release 2, une société Berkeley Software Design, Incorporated (BSDI), fut créée pour développer et distribuer une version du code dont les utilisateurs bénéficieraient d'un service d'assistance commercial (voir le site http://www.bsdi.com). Comme les autres groupes, ils commencèrent par ajouter les six fichiers manquant que Bill Jolitz avait écrits pour sa version 386/BSD. BSDI commença en janvier 1992 à vendre son système, qui comprenait à la fois le code source et les binaires, pour la somme de 995 $. Il publièrent des publicités mettant en évidence que leur produit permettait 99 % d'économies sur le prix de System V, et intégrait le coût du code source. Les lecteurs intéressés pouvaient appeler le numéro 1-800-ITS-Unix[1].
Ils reçurent, peu après le début de leur campagne de promotion, une lettre expédiée par USL (Unix System Laboratories), une entreprise née de l'éclatement d'AT&T dont les activités étaient centrées autour d'Unix et de ses outils. Cette lettre demandait que BSDI arrête de promouvoir ses produits en tant qu'Unix et, en particulier, qu'il cesse d'utiliser le numéro de téléphone qui pourrait tromper son utilisateur. Ce dernier fut rapidement supprimé et les publicités modifiées pour expliquer que le produit n'était pas Unix, mais USL n'était toujours pas satisfait et porta plainte contre BSDI afin de lui interdire de vendre. La plainte indiquait que le produit BSDI contenait du code USL propriétaire et que BSDI diffusait les secrets de fabrication d'USL. USL chercha à obtenir une injonction de blocage immédiat des ventes de BSDI en prétendant qu'ils subiraient sinon des dommages irréparables en raison de la perte de leurs secrets de fabrication.
Lors de la première audience concernant la demande d'injonction, BSDI soutint qu'ils ne faisaient qu'utiliser le code source librement distribué par l'université de Californie et six fichiers ajoutés. Ils acceptaient de discuter du contenu de ces six fichiers, mais ne pensaient pas qu'ils devaient être tenus pour responsables des fichiers diffusés par l'université de Californie. Le juge reconnut les arguments de BSDI et signifia à USL qu'ils devraient reformuler leur plainte de sorte qu'elle ne concerne que les six fichiers ou bien l'abandonner. Reconnaissant qu'ils auraient en ce cas du mal à plaider, USL décida de porter plainte à la fois contre BSDI et contre l'université de Californie. Comme la première fois, USL demanda une injonction bloquant la commercialisation de la Networking Version 2 de l'université de Californie et sur les produits diffusés par BSDI.
Avec l'injonction imminente dont nous n'avions entendu parler que quelques semaines auparavant, la préparation devint particulièrement sérieuse. Tous les membres du CSRG durent faire des dépositions tout comme toute personne employée à BSDI. Les dossiers, les contre-dossiers et les contre-contre dossiers commencèrent leurs allées-venues entre les avocats. Keith Bostic, comme moi, a été contraint d'écrire plusieurs centaines de pages qui trouvèrent place dans plusieurs dossiers.
En décembre 1992, Dickinson R. Debevoise, un juge de district (United States District Judge) du New Jersey, écouta les arguments de l'injonction. Bien que les juges prononcent généralement le résultat d'une requête d'injonction immédiatement, il décida de prendre un certain temps de réflexion. Environ six semaines plus tard, un vendredi, il publia son jugement d'environ quarante pages dans lequel il rejetait l'injonction et repoussait toutes les plaintes sauf deux. Les deux points restants concernaient les nouvelles notices de copyright et la possibilité de pertes consécutives à la dissémination d'un secret industriel. Il suggéra également que cette affaire soit plutôt traitée dans une cour d'état avant de l'être dans une cour fédérale. L'université de Californie appliqua la suggestion et se précipita à la cour d'état de Californie le lundi matin qui suivit avec un dossier contre USL. En déposant en premier en Californie, l'université a établi le lieu de n'importe quelle future action en justice. D'après la constitution, les plaintes ne peuvent être déposées que dans un seul état pour éviter qu'un plaignant aux poches profondes ne puisse saigner une partie adverse en intentant un procès dans chaque état. Le résultat de cette action est que si USL voulait agir contre l'université dans n'importe quelle cour d'état, il était contraint de le faire en Californie plutôt que dans son état, le New Jersey [2].
La plainte déposée par l'université reposait sur le fait qu'USL n'avait pas respecté l'obligation de citer l'Université de Californie dans le code BSD employé dans System V, malgré les termes de la licence signée. Si la plainte déposée était considérée recevable, l'université demandait à USL d'être forcé à réimprimer toute leur documentation après ajout des mentions appropriées, d'informer tous les utilisateurs référencés de leur oubli et d'effectuer des publications dans des revues telles que The Wall Street Journal et le magazine Fortune pour que le monde des affaires soit au courant de cette omission.
Peu après le dépôt de cette plainte, USL fut achetée à AT&T par Novell. Le directeur de Novell, Ray Noorda, indiqua publiquement qu'il préférait de loin se battre sur le marché plutôt qu'en justice. Pendant l'été 1993, des discussions en vue de résoudre cette affaire débutèrent. Malheureusement, les deux parties s'étaient tellement investies dans ces actions qu'elles évoluaient peu. Avec quelques petits coups de pouces de Ray Noorda du côté d'USL, un grand nombre de points bloquants furent supprimés et cela mena à un arrangement conclu en janvier 1994. Le résultat était que trois fichiers furent supprimés des 18.000 fichiers constituant Networking Release 2. L'université accepta d'ajouter les copyrights d'USL dans environ 70 fichiers, tout en continuant à les distribuer librement.
[1] | N.d.T. : numéro vert aux États-Unis/Canada. |
[2] | N.d.T. : les États-Unis se distinguent par un système juridique d'une complexité effarante. Ce double système juridique ne simplifie pas les choses. |
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