La motivation du hacker Open Source

L'expérience de Lucid montre que les programmeurs gardent souvent une loyauté envers un projet qui va plus loin qu'une compensation directe correspondant à la participation au projet. Pourquoi des gens écrivent-ils du logiciel libre ? Pourquoi donnent-ils gratuitement ce qu'ils pourraient facturer des centaines de dollars de l'heure ? Qu'en retirent-ils ?

Leur motivation n'est pas seulement l'altruisme. Ces contributeurs n'ont sans doute pas les poches pleines d'actions Microsoft, mais chacun bénéficie d'une réputation qui devrait lui assurer des occasions leur permettant de payer le loyer et de nourrir leurs enfants. Vu de l'extérieur, cela peut paraître paradoxal car, après tout, on ne peut se nourrir de logiciel libre. La réponse se trouve, en partie, au-delà de la notion de rétribution du travail. Nous somme témoins de la naissance d'un nouveau modèle économique, et non pas seulement d'une nouvelle culture.

Eric Raymond s'est posé en anthropologue participant à la communauté Open Source. Il analysa les motivations de ceux qui développent des logiciels afin d'en faire don par la suite.

Gardez à l'esprit que ces gens ont, pour la plupart, programmé pendant des années, et ne voient pas la programmation en soit comme une chose ennuyeuse ou comme un travail. Un projet très complexe comme Apache ou comme le noyau de Linux apporte une satisfaction suprême sur le plan intellectuel. Un vrai programmeur, après avoir terminé et débogué une morceau de code récursif abominablement difficile qui aura été pour lui une source de problèmes durant plusieurs jours, ressentira une excitation proche de celle que connaît un sportif lorsqu'il participe à une course.

Le fait est que beaucoup de programmeurs écrivent des programmes parce que c'est ce qu'ils aiment faire, et c'est précisément la manière dont ils définissent leur forme d'esprit. Sans le codage (écriture de programme), un programmeur se sent moins complet, comme un athlète privé de compétitions. La discipline peut poser un problème au programmeur tout autant qu'à l'athlète ; beaucoup de programmeurs n'aiment pas maintenir un morceau de code après l'avoir terminé.

D'autres programmeurs n'adoptent toutefois pas ces conceptions de durs à cuire et préfèrent un point de vue plus classique. Ils se considèrent, à juste titre, comme des scientifiques. Un scientifique n'est pas censé amasser des profits grâce à ses invention mais doit publier et partager ses découvertes pour le bénéfice de tous. Il préfère théoriquement la connaissance au profit matériel.

Tout cela procède de la quête d'une réputation. La programmation est une culture du don : la valeur du travail d'un programmeur provient du fait qu'il le partage avec d'autres. Cette valeur est accrue lorsque le travail est mieux partagé, et encore plus lorsqu'il l'est en publiant les sources et non les résultats d'un exécutable précompilé.

La programmation est aussi une prise de pouvoir, ce qu'Eric Raymond désigne par « gratter une démangeaison ». La plupart des projets Open Source prirent leur essor grâce à un sentiment de frustration : après avoir recherché vainement un outil capable d'accomplir une tâche donnée, ou en avoir découvert un qui n'était pas au point, abandonné, ou mal maintenu. C'est de cette façon qu'Eric Raymond commença à développer fetchmail, que Larry Wall amorça le projet Perl, que Linux Torvalds créa Linux. La prise de pouvoir, pour plusieurs raisons, était le concept le plus important sous-jacent à la motivation de Stallman pour démarrer le projet GNU.