Chapitre 1. Une brève histoire des hackers

Table des matières
Prologue : les Vrais Programmeurs
Les premiers hackers
La montée en puissance d'Unix
La fin du bon vieux temps
L'ère de l'Unix propriétaire
Les premiers Unix libres
La grande explosion du web

Prologue : les Vrais Programmeurs

Au commencement étaient les Vrais Programmeurs[1].

Ce n'est pas le nom qu'ils se donnaient. Ils ne se considéraient pas non plus comme des « hackers », et n'avaient pas le sentiment d'avoir créé une caste. Le sobriquet « Vrai Programmeur » est d'ailleurs apparu après 1980. Mais à partir de 1945, les techniques de l'informatique ont attiré la majorité des esprits plus brillants et les plus créatifs du monde. Sur la trace de l'ENIAC de Eckert et Mauchly, on a vu se développer, de manière plus ou moins continue, une culture technique émergente de programmeurs enthousiastes, qui écrivaient du logiciel pour le plaisir.

Le Vrai Programmeur type était un ingénieur ou un physicien. Il portait des chaussettes blanches, des chemises et des cravates en polyester, chaussait des lunettes épaisses et codait en langage machine, en langage d'assemblage, en FORTRAN et en une demi-douzaine de langages aujourd'hui oubliés. Ils étaient les précurseurs de la culture des hackers, les héros trop méconnus de sa préhistoire.

De la fin de la deuxième guerre mondiale au début des années 70, dans les grands jours de la programmation par lots et des « gros systèmes »[2], les Vrais Programmeurs représentaient la culture technique dominante dans le milieu des informaticiens. Certaines portions du folklore vénéré des hackers remontent à cette époque, comme la célèbre histoire de Mel (dont traite le document intitulé Jargon), quelques listes de lois de Murphy, et l'affiche « Blinkenlights », qui se moque des Allemands, et qu'on trouve encore dans de nombreuses salles d'ordinateurs.

Certains des invidus qui baignèrent dans la culture des « Vrais Programmeurs » sont restés actifs jusque dans les années 1990. Seymour Cray, concepteur de la lignée Cray de super-ordinateurs, a la réputation d'avoir programmé un système d'exploitation complet de son cru, pour un ordinateur qu'il avait créé. En octal. Sur de simples interrupteurs. Sans faire une seule erreur. Et cela fonctionna. Le Vrai Programmeur suprême.

Plus discret, Stan Kelly-Bootle, auteur du The Devil's DP Dictionary (dictionnaire de l'informatique du diable, McGraw-Hill, 1981) et chroniqueur hors-pair du folklore des hackers, a programmé en 1948 sur le Manchester Mark I, premier ordinateur utilisable capable de stocker les programmes de façon numérique. De nos jours, il tient des rubriques techniques humoristiques dans des magazines traitant d'informatique, souvent sous la forme d'un dialogue, vigoureux et entendu, avec les hackers d'aujourd'hui.

D'autres, comme David E. Lundstrom, ont couché sur le papier les anecdotes de ces vertes années (A Few Good Men From UNIVAC, 1987[3]).

On doit à la culture des « Vrais Programmeurs » la montée de l'informatique interactive, des textes traitant d'informatique maintenant classiques, et des réseaux. Ils ont donné naissance à une tradition d'ingénierie continue qui devait déboucher, à terme, sur la culture du hacker de logiciel libre d'aujourd'hui.

Notes

[1]

N.d.T. : certains traducteurs rendent cette note humoristique par l'expression : « les Véritables ».

[2]

N.d.T. : « big iron » signifie « gros ordinateurs ».

[3]

N.d.T. : « Des hommes d'honneur chez UNIVAC ».