Tribune Libre: Ténors de l'Informatique Libre | ||
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Le modèle de développement Open Source actuel prend ses racines dans les sciences informatiques vieilles d'au moins une décennie. Ce qui fait le succès grandissant de l'Open Source aujourd'hui, cependant, est la dissémination rapide de l'information rendue possible par l'Internet. Quand Watson et Crick ont découvert la double hélice, ils pouvaient espérer que l'information circule de Cambridge à Cal Tech en quelques jours, quelques semaines au pire. Aujourd'hui, la transmission d'une telle information est effectivement instantanée. L'Open Source est née dans la « Renaissance numérique » rendue possible par l'Internet, tout comme les sciences modernes sont apparues pendant la Renaissance grâce à l'invention de l'imprimerie.
Durant le Moyen-Âge aucune infrastructure informationnelle efficace n'existait. Les écrits devaient être copiés à grands frais, et, pour cette raison même, devaient transmettre une valeur instantanée. Seule l'information concise et à l'importance patente était transmise, par exemple les transactions commerciales et financières, la correspondance diplomatique. La priorité des écrits spéculatifs des alchimistes, prêtres et philosophes (qui seraient plus tard appelés scientifiques) restait moindre, et ces informations circulaient donc moins vite. L'imprimerie a changé tout cela en réduisant le coût d'entrée dans l'infrastructure informationnelle. Les savants, qui auparavant travaillaient dans l'isolement, pouvaient pour la première fois établir une communauté avec leurs pairs dans toute l'Europe. Mais cet apprentissage a requis un partage ouvert de l'information.
La notion de liberté académique et le processus que nous appelons maintenant la Méthode Scientifique émergèrent. Rien de ceci n'aurait pu être possible sans la nécessité de former une communauté, et l'ouverture de l'information a, durant des siècles, été le ciment qui maintenu l'unité de la communauté scientifique.
Imaginez un instant que Newton ait gardé secret ses lois de la mécanique et soit entré en affaires comme sous-traitant de l'artillerie pendant les 30 années qui suivirent. « Non, je ne révélerai rien des trajectoires paraboliques, mais peux régler vos canons si vous réglez mes notes d'honoraires ». L'idée elle-même semble absurde. Non seulement la science n'a pas évolué dans ce sens, mais elle n'aurait pas pu évoluer ainsi. Si cela avait était la façon de penser des scientifiques, leurs secrets eux-mêmes auraient empêché la science de se développer et d'évoluer.
L'Internet est l'imprimerie de l'ère numérique. Une fois encore, l'accès à l'infrastructure a été rendu plus facile. Le code source n'a plus besoin d'être distribué sur des rouleaux de papiers comme l'était la version originale d'Unix, ou sur disquettes, comme aux premiers jours de MS-DOS, ou même sur CD-ROM. N'importe quel serveur FTP ou HTTP (Web) peut servir de point de distribution peu coûteux et toujours disponible.
Bien que cette Renaissance véhicule de grandes promesses, nous ne devons pas oublier l'héritage scientifique de plusieurs siècles auquel est adossé le modèle de développement de l'Open Source. La science de l'information et l'industrie informatique coexistent dans une inconfortable alliance aujourd'hui. Les géants de l'industrie comme Microsoft exercent une forte pression visant à préserver le secret des nouveaux développements afin d'augmenter le gain financier à court terme. Mais de plus en plus de réalisations naissent dans l'industrie plutôt qu'à l'université, et l'industrie doit donc veiller à nourrir la discipline au travers du libre partage des idées, c'est-à-dire par le modèle de développement Open Source. Elle assurerait cela sans la moindre motivation altruiste de servir une grande cause, mais pour une raison pragmatique des plus simples : l'intéressement personnel exacerbé.
Tout d'abord, les industriels informatiques font preuve d'étroitesse d'esprit s'ils croient que le revenu financier est l'objectif principal des meilleurs programmeurs de l'Open Source. Pour impliquer ces derniers dans l'industrie, leur propriété doit être respectée. Ils sont impliqués dans une quête de réputation, et l'histoire montre que la renommée issue de créations intellectuelles survit mieux que celle des réussites financières. Nous connaissons tous les noms de quelques grands industriels de ces cent dernières années : Carnegie, Rockefeller, mais la réputation des scientifiques ou inventeurs marquants de la même période dépasse les leurs : Einstein, Edison... Pauling. Au siècle prochain certains sauront peut-être qui était Bill Gates, mais qui se souviendra des autres industriels de l'informatique ? Il est plus probable que les noms de Richard Stallman et Linus Torvalds demeureront connus.
Ensuite, et surtout, l'industrie a besoin de l'innovation scientifique. L'Open Source peut développer et corriger des logiciels à la vitesse de la création scientifique. L'industrie informatique a besoin de la prochaine génération d'idées issues du développement Open Source.
L'exemple de Linux, une fois encore, est révélateur. Ce projet a été conçu à peu près cinq années après que Microsoft ait commencé le développement de MS-Windows NT. Microsoft a dépensé des dizaine de milliers de jours-hommes et des millions de dollars dans le développement de son produit. Aujourd'hui Linux est considéré comme un concurrent compétitif de MS-Windows NT en tant que serveur sur plate-forme PC, et les principaux logiciels correspondants sont portés par Oracle, IBM, et d'autres grands éditeurs. La quantité de logiciels développés selon le modèle Open Source. Seule une entité aux ressources colossales, par exemple Microsoft, pourrait en réaliser autant.
Pour étayer la Renaissance numérique nous avons besoin de l'approche Open Source. Elle amène le progrès non seulement dans le domaine de l'informatique théorique, mais aussi dans le secteur économique de l'informatique.
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