Tribune Libre: Ténors de l'Informatique Libre | ||
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Avec la fin de ma communauté, il m'était impossible de continuer comme de par le passé. J'étais au lieu de cela confronté à une profonde prise de décision.
La solution de facilité était de rejoindre le monde du logiciel propriétaire, de signer des accords de non divulgation et promettre ainsi de ne pas aider mon ami hacker. J'aurais aussi été, très probablement, amené à développer du logiciel qui aurait été publié en fonction d'exigences de non divulgation, augmentant la pression qui en inciterait d'autres à trahir également leurs semblables.
J'aurais pu gagner ma vie de cette manière, et peut-être me serais-je même amusé à écrire du code. Mais je savais qu'à la fin de ma carrière, je n'aurais à contempler que des années de construction de murs pour séparer les gens, et que j'aurais l'impression d'avoir employé ma vie à rendre le monde pire.
J'avais déjà eu l'expérience douloureuse des accords de non divulgation, quand quelqu'un m'avait refusé, ainsi qu'au laboratoire d'IA du MIT, l'accès au code source du programme de contrôle de notre imprimante (l'absence de certaines fonctionnalités dans ce programme rendait l'utilisation de l'imprimante très frustrante). Aussi ne pouvais-je pas me dire que les accords de non divulgation étaient bénins. J'avais été très fâché du refus de cette personne de partager avec nous ; je ne pouvais pas, moi aussi, me comporter d'une telle manière à l'égard de mon prochain.
Une autre possibilité, radicale mais déplaisante, était d'abandonner l'informatique. De cette manière, mes capacités ne seraient pas employées à mauvais escient, mais elles n'en seraient pas moins gaspillées. Je ne me rendrais pas coupable de diviser et de restreindre les droits des utilisateurs d'ordinateurs, mais cela se produirait malgré tout.
Alors, j'ai cherché une façon pour un programmeur de se rendre utile pour la bonne cause. Je me suis demandé si je ne pouvais pas écrire un ou plusieurs programmes qui permettraient de souder à nouveau une communauté.
La réponse était limpide : le besoin le plus pressant était un système d'exploitation. C'est le logiciel le plus crucial pour commencer à utiliser un ordinateur. Un système d'exploitation ouvre de nombreuses portes ; sans système, l'ordinateur est inexploitable. Un système d'exploitation libre rendrait à nouveau possible une communauté de hackers, travaillant en mode coopératif — et tout un chacun serait invité à participer. Et tout un chacun pourrait utiliser un ordinateur sans devoir adhérer à une conspiration visant à priver ses amis des logiciels qu'il utilise.
En tant que développeur de système d'exploitation, j'avais les compétences requises. Aussi, bien que le succès ne me semblât pas garanti, j'ai pensé être le candidat de choix pour ce travail. J'ai décidé de rendre le système compatible avec Unix™ de manière à le rendre portable, et pour le rendre plus accessible aux utilisateurs d'Unix™. J'ai opté pour le nom GNU, fidèle en cela à une tradition des hackers, car c'est un acronyme récursif qui signifie « GNU's Not Unix » (GNU N'est pas Unix).
Un système d'exploitation ne se limite pas à un noyau, qui suffit à peine à exécuter d'autres programmes. Dans les années 1970, tout système d'exploitation digne de ce nom disposait d'interpréteurs de commandes, d'assembleurs, de compilateurs, d'interpréteurs, de débogueurs, d'éditeurs de textes, de logiciels de courrier électronique, pour ne citer que quelques exemples. C'était le cas d'ITS, c'était le cas de Multics™, c'était le cas de VMS™, et c'était le cas d'Unix™. Ce serait aussi le cas du système d'exploitation GNU.
Plus tard, j'ai entendu ces mots, attribués à Hillel[1][2] :
If I am not for myself, who will be for me?
If I am only for myself, what am I?
If not now, when?
C'est dans cet état d'esprit que j'ai pris la décision de lancer le projet GNU.
[1] | En tant qu'athée, je ne suis les pas d'aucun meneur religieux, mais j'admire parfois ce que l'un d'entre eux a dit. |
[2] | N.d.T. : on peut rendre l'esprit de ce poème comme suit :
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